Tyler The Creator – ‘Don’t Tap The Glass’

Tyler The Creator – ‘Don’t Tap The Glass’

Album / Columbia / 21.07.2025
Hip hop

The biggest out the city after Kenny, that’s a fact now‘ clamait Tyler, The Creator lors du démarrage en trombe de Chromakopia il y a maintenant neuf mois. Au-delà de l’éternelle compétition entre superstars du rap game, il est vrai que le Tyler cuvée 2024 suivait d’assez près les pas du Kendrick Lamar de Mr. Morale & The Big Steppers, avec un album qui possédait lui aussi une dimension confessionnelle et psychanalytique. Comme Mr. Morale…, Chromakopia prenait le temps de développer son propos introspectif — au risque de longueurs qui, dans le cas de Tyler, menaçaient parfois dangereusement l’intégrité structurelle du disque (sans parler des interventions envahissantes de maman entre les pistes). Heureusement, ces circonvolutions étaient rattrapées par un final spectaculaire de quatre titres phares, incluant l’extatique Like Me et l’hédoniste Balloons. Parfois une grande œuvre conceptuelle justifie quelques errements. Surtout quand ces errements débouchent sur une conclusion cathartique.

Mais maintenant que Tyler a réglé ses comptes avec le fantôme du père (le sien, ou celui qu’il pourrait bien devenir lui-même), et maintenant qu’il s’est libéré de ce poids et détruit ce qui entravait son chemin, que faire ? Et bien danser, pardi. Se marrer, se faire plaisir. Lors de cette soudaine phase de décompensation, les grands sujets récemment abordés resteront mis de côté dans un coin de la tête. Ressurgiront-ils un jour ? Pas certain vu le bordel là-dedans.

En attendant, le mode d’emploi du nouveau LP du rappeur californien —  annoncé seulement quelques jours avant sa sortie —  est donné dès ses premières secondes, par l’intermédiaire d’une voix pitchée façon vocoder eighties : ‘Number one: body movement. No sitting still / Number two: only speak in glory. Leave your baggage at home / Number three: don’t tap the glass‘. En gros, ne pas éteindre l’incendie qui brûle votre enveloppe charnelle au moment où celle-ci s’éclate sur le dancefloor. Et laissez vos bagages existentiels au vestiaire, svp. Suite à ce mode d’emploi préliminaire, un court sample vocal associant la danse à une prière enfonce le clou. Tiré du Roked de Shye Ben Tzur et Jonny Greenwood, il suggère que le mouvement des corps permet de toucher au divin. Et ce, même si le divin en question a un sacré pète au casque. Vous attendiez autre chose du Créateur, peut-être ?

Aussi barré Tyler soit-il — qui d’autre pour sampler sur un même morceau Shye Ben Tzur et une vieille production des Neptunes de Pharrell Williams ? — le trublion du hip hop contemporain suit là encore les pas de Kendrick. gnx lui aussi abandonnait les high concepts pour s’offrir une cure de jouvence dans les scènes rap et r’n’b locales. Don’t Tap The Glass fait de même, mais il le fait avec une vivacité et un sens de l’accroche encore jamais vus chez l’ancien underdog du hip hop US. EDM et italo-disco passés à la moulinette de Prince (Sugar On My Tongue), G-Funk west coast moderne (Sucka Free), horrorcore et club-bass (Stop Playing With Me), pop-funk à la Michael Jackson époque Off The Wall (Ring Ring Ring), New Orleans bounce (Don’t Tap That Glass)… La cure de Tyler est évidemment bien plus déjantée que la dernière proposition de Lamar. Et surtout, elle brasse beaucoup plus large niveau styles et époques. Sur Big Poe, nom du nouvel alter ego du bonhomme — son petit côté David Bowie — se suivent breakbeats à la Bomb Squad (coche ta case eighties), choeurs ‘heeeeey’ et ‘jump! jump!’ à la House Of Pain et Naughty By Nature (coche ta case nineties), et club rap des années 2000 (coche ta case noughts). Pharrell lui-même vient rapper sur ce titre qui échantillonne son oeuvre ancienne. Bingo.

Au delà de ce catalogue de styles, Don’t Tap The Glass se présente aussi comme un reader’s digest de tout ce qui fait le sel des productions de l’artiste depuis qu’il a atteint le firmament du rap game. Les petits détails attachants fourmillent. Les textures synthétiques sont à la fois soyeuses et enlevées. Les beats se suivent et ne se ressemblent pas. Quant à Tyler, il ricane, grogne, tweake, susurre, éructe, et fanfaronne. Il chante beaucoup aussi, ou alors laisse d’autres (Madison McFerrin et Yebba) le faire pour lui dans un dernier run qui calme peut-être un peu trop soudainement le jeu. Que l’on se rassure, le titre final Tell Me What It Is voit l’auteur d’Igor reprendre véritablement le micro pour renouer avec l’imparable facture pastiche néo-soul qu’il a déjà si brillamment utilisée auparavant. Une coda… introspective, qui tisse également à la dernière minute un lien avec Chromakopia. Auto-contradiction ? Pas pour quelqu’un qui, dès 2011, rappait : ‘I’m a fucking walking paradox, no, I’m not‘.

Un petit sentiment d’inachevé surgira inévitablement de cette courte proposition de 28 minutes. ‘Maybe next time you could stay longer‘ reconnaît lui-même Tyler en outro (ben je sais pas, mec, ça dépend surtout de toi, non ?). Clairement, l’ambition narrative et musicale de Flower Boy et Igor n’a jamais été visée ici, à l’aune d’un disque demandant lui-même à l’auditeur de ne pas sur-analyser son propos. Gageons cependant que l’on se souviendra de ce petit album surprise comme un impressionnant fournisseur de bangers plus propulsifs les uns que les autres, là où Call Me If You Get Lost et Chromakopia étaient malheureusement un peu chiches en la matière. Le tout sans jamais se dépareiller du grain de folie touchant au génie sans lequel Tyler ne serait pas Tyler. ‘Niggas say I lost touch with regular folks, I’ve never been regular, you niggas are jokes‘ étrille le rappeur sur le morceau donnant son titre au disque. Plus que jamais, Tyler, The Creator mène la danse aujourd’hui.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Big Poe, Sugar On My Tongue, Sucka Free, Stop Playing With Me, Ring Ring Ring, Don’t Tap That Glass / Tweakin’

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