SLIFT – ‘ILION’

SLIFT – ‘ILION’

Album / Sub Pop / 19.01.2024
Heavy psych

Morgan Guillou, le chanteur de Guadal Tejaz, avait dit de son groupe, un jour qu’il ouvrait pour SLIFT, qu’il était le poisson pilote devançant le gros squale. Depuis UMMON en 2020, le trio toulousain est effectivement le groupe de tous les superlatifs : monumental dans tous les aspects de son expression musicale, il a continuellement donné l’impression de questionner ses propres limites, pour mieux libérer l’énergie inouïe qui l’anime. Sur album comme sur scène, SLIFT a fait plus que ses preuves, faisant cohabiter un peu partout dans le monde amateurs de rock indé et métalleux pur jus, finissant par décrocher un contrat avec Sub Pop comme pour mieux confirmer une stature internationale qui allait déjà de soi. Et voici donc le tant attendu ILION, troisième album des frères Fossat, Jean et Rémi, et de leur pote de lycée Canek Flores. Qu’en dire, sinon que la totale démesure du projet défie toute tentative d’en donner une fidèle description ? Certains groupes, comme Servo qui fera la première partie des toulousains sur de nombreuses dates de l’imminente tournée européenne, choisissent de resserrer les formats pour gagner en efficacité, d’autres, comme SLIFT, font exactement l’inverse : ils ouvrent grandes les vannes, abattent des murs qui n’existaient plus vraiment pour laisser se déverser, torrentielle, une inspiration qui n’est jamais aussi fulgurante chez eux que dans l’expérience du hors limite. ILION est ainsi un album gargantuesque, se livrant à tous les excès sans jamais se perdre, ce qui n’est pas le moindre de ses exploits : plus de 70 minutes de guitares en surchauffe, expulsant au quatre coins de l’univers leurs giclées électriques, sans jamais perdre leur assise rythmique, d’une lourdeur et puissance phénoménales. La plupart des 8 morceaux qu’on y trouve ont une durée supérieure à 8 minutes, ce qui signale bien le désir du groupe de tout étirer, alourdir, faire crépiter ou exploser de manière totalement démente. Les moments les plus calmes n’en auront d’ailleurs, eux aussi, que plus de poids, laissant s’élever parfois des chants inspirés de la liturgie religieuse, invitant à un recueillement d’autant plus salutaire qu’il aura été précédé et sera suivi, on n’en doute pas un seul instant, d’expériences véritablement extrêmes et chaotiques.

L’ensemble, comme UMMON, prend la forme d’un épique voyage dont chaque titre s’emploierait à rendre compte des particularités sensorielles de chaque étape. On commence avec le titre éponyme, également premier single, qui propose 11’09 » de heavy psych frénétique, hystérique, cataclysmique voire même épileptique. Dès les premières secondes, on a cette impression, qui ne nous quittera plus, d’être projeté à une vitesse prodigieuse dans un univers à la folie visuelle indescriptible : ça semble détoner de toutes parts, jusqu’aux confins de la perception, ça vrombit d’une manière ahurissante sous nos pieds, et toujours et encore cette accélération vertigineuse qui nous fait engloutir plusieurs mondes en quelques minutes. Ça ralentit parfois, comme pour nous faire contempler d’antiques immensités, (Ilion est le nom grec de la légendaire ville de Troie), mais pour mieux nous terrasser la minute d’après avec une énième cavalcade infernale. Bref, dès le premier titre, on a un véritable bouquet final alors même que l’on est censé assister au début du feu d’artifice.

Que faire après un départ aussi tonitruant ? Certainement pas tergiverser, ça ne cadrerait pas avec ce que l’on sait du trio. Maintenir le rythme, plonger dans les hauts fourneaux de matière en fusion créés par d’ambitieuses guitares afin de voir leurs gerbes sonores dessiner les formes titanesques de galaxies éloignées ou de cités légendaires du passé. Que ce soit avec Nimh ou The Words That Have Never Been Heard – dont les 12’31 » de folies rythmiques laissent pourtant percer des hurlements de prophète cosmique halluciné – on évoluera dans un imaginaire de science fiction (qu’importe que celle-ci se projette dans le lointain avenir ou dans le passé reculé, à la limite du mythe), en se raccrochant aux visions terribles ou merveilleuses de Druillet ou de Moebius pour imaginer l’inimaginable. Il y a bien un moment de relative accalmie avec l’instrumental Confluence qui nous amène à dériver au son d’un saxophone dans des contrées inidentifiables mais que l’on devine désolées, et les chants sacrés de Weaver’s Weft contribuent également à diversifier le voyage en imposant des ambiances plus apaisées, mais le retour des guitares plombées n’est jamais très loin pour nous ramener à l’écrasante gravité et à la collusion des forces contraires. Uruk et The Story That Has Never Been Told constituent un final magistral et tout en excès – pouvait-on s’attendre à autre chose ? – : le premier de ces deux titres se clôt sur des jets de guitares incandescents faisant s’entrouvrir l’univers afin de nous propulser, hébétés, dans l’immémorial cité de Gilgamesh, tandis que le second semble vouloir parcourir, étonné, les contours de ce qui semble être un nouveau monde.

ILION, par sa démesure, peut évidemment décontenancer, ce qui n’empêche pas d’avoir la certitude d’être embarqué, à chaque instant, dans une épopée monumentale, faite de bruit et de fureur, mais ouvrant également et régulièrement sur des moments de sombre beauté. Et il fallait bien avoir la carrure de SLIFT pour soutenir avec autant de maîtrise et de détermination la dimension titanesque d’une telle entreprise, dont on n’ose imaginer l’impact phénoménal que pourra avoir sa réalisation pluridimensionnelle en live.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Ilion, The Words That Have Never BeenHeard, Weaver’sWeft, Uruk

EN CONCERT

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1 Commentaire
  • Franck irle
    Posté à 20:37h, 19 janvier Répondre

    Superbe Chronique en adéquation totale avec le contenu de ce disque monumental !

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