Parquet Courts, demain est un autre jour

Parquet Courts, demain est un autre jour

Au mois de mars dernier, soit quelques semaines en amont de la sortie de leur nouvel album Wide Awake! le 18 mai chez Rough Trade, les New Yorkais de Parquet Courts étaient à Paris pour rencontrer la presse et revenir sur la genèse de ce sixième chapitre de leur discographie. L’occasion de trouver réponses à toutes les questions que l’on pouvait se poser au sujet de leur collaboration avec Brian Burton (alias Danger Mouse), des thématiques qui les ont inspirés, mais aussi de leur regard sur la société américaine actuelle. Rencontre avec les deux chanteurs Austin Brown et A. Savage, toujours en quête de nouveaux horizons musicaux.

8 ans après votre formation, Wide Awake! est déjà votre 6ème album. En parallèle, vous avez sorti l’année dernière un disque avec Daniele Luppi et Karen O (Yeah Yeah Yeahs) intitulé Milano ; Andrew (A. Savage) a également sorti son album solo, Thawing Dawn… À quel moment avez-vous donc trouvé le temps de composer ? Et est-ce que tous ces projets ont eu un impact sur Wide Awake! ?

A. Savage : En fait, la majorité de Milano a été enregistré avant Human Performance, le dernier album de Parquet Courts. Je dirais donc que c’est en grande partie en 2016 et 2017 qu’on a passé du temps à travailler et enregistrer Wide Awake!. Mais c’était assez intéressant de contribuer à l’album de Daniele Luppi, d’être capable de travailler sur un projet qui ne soit pas le nôtre, avec des paroles évoquant d’autres concepts. J’imagine que nous confronter à d’autres méthodes de travail nous a aidés. Quant à mon album solo, il a également été composé au même moment, et ça a été réellement utile pour définir quel type de disque serait le prochain Parquet Courts.

Wide Awake! a été produit par Brian Burton, alias DangerMouse (Gnarls Barkley, Gorillaz, Beck, Black Keys…). Est-ce via l’intermédiaire de Daniele Luppi, avec qui Burton a réalisé l’album Rome, que cette rencontre a été possible ?

Oui, je pense que Luppi a probablement été celui qui a dit à Brian de se rapprocher de nous. Ils sont tous les deux amis.

Quelle a été l’influence de Brian Burton sur vos compositions? Son expérience vous a-t-elle emmenés vers des horizons vers lesquels vous ne vous seriez pas tournés si vous aviez travaillé seuls ?

On ne connaissait pas vraiment ses albums et, pour être honnête, DangerMouse ne nous évoquait pas grand chose. Quand il est venu vers nous, il était vraiment insistant, il voulait produire notre album. Sa passion pour Parquet Courts semblait évidente. On a pas mal causé et trainé ensemble avant de prendre la décision de travailler avec lui. On avait déjà choisi le studio, écrit l’album, on était sur le point de l’enregistrer, donc tout s’est passé comme pour les précédents. Je dirais que sa plus grande contribution a été d’avoir une opinion objective, et une motivation propre à quelqu’un d’extérieur, qui croit très fort dans le groupe. Il n’était donc pas, en tout cas dans notre expérience, ce type de producteur qui laisse son empreinte sur le disque, et en fait un album de DangerMouse. C’est un album de Parquet Courts, et Brian a eu la force de le réaliser.
Austin : En fait, notre volonté était de travailler sur différents styles musicaux avant même que Brian intervienne, parce qu’on a toujours agi comme ça, en incorporant des influences diverses, et musicalement très expérimentales. J’imagine que c’est quelque chose que l’on a en commun avec lui, donc ce n’est pas comme s’il nous avait poussés à essayer différents styles. Vu qu’il a beaucoup d’expérience là dedans, il a été capable d’être à la fois coopératif et utile afin d’atteindre la vision vers laquelle nous pensions nous tourner pour cet album.

Vous avez dit vous inspirer d’artistes aussi variés que Grace Jones, The Upsetters, Parliament, et également beaucoup de punk américain des années 80’s pour ce nouvel album. Le but était donc avant tout d’essayer de nouvelles choses…

A. Savage : C’est le but pour chaque album je pense. Total Football ou In and Out of Patience sont clairement des morceaux inspirés par le punk américain. Mais ce ne sont pas les seules influences. J’ai apporté également des références dub sur Before The Water Gets Too High, Austin également sur Back to Earth. Quand tu es en studio, les influences sont un peu comparables à un nuage, un truc que quatre personnes alimentent afin de créer un seul et même ensemble, qui va définir le son du groupe. Il y a toujours cette idée d’expérimenter, de faire quelque chose de nouveau et, alors que l’on murit en tant que personnes, les influences artistiques changent, évoluent, et donc le son du groupe aussi. C’est notre sixième album, et il y a une raison pour laquelle chacun d’eux est différent.

Ce disque est assez éclectique dans sa composition, et également plus ‘poli’ du fait d’une production de meilleure qualité. Vous êtes-vous éloignés du son lo-fi de vos débuts pour vous débarrasser de son spectre plus limité qui vous empêcherait de concrétiser vos idées ?

American Specialties, notre premier album, avait un son lo-fi, c’est clair. Pour les autres, je ne suis pas vraiment certain, la qualité est tout de même assez bonne…
Austin : Je pense que c’est plus vague que ça. C’est lié au fait de vouloir faire quelque chose de différent sur chaque album. Et puis chaque morceau possède sa propre signification. Le tout est de savoir comment transporter le mieux l’intention. Parfois, ça a besoin d’être direct et brut, d’autres fois ça doit être plus sophistiqué, et cela nécessite dans ce cas des arrangements plus complexes. Sur Content Nausea, on avait également un son assez lo-fi. Pour Sunbathing Animal, nous avons enregistré pas mal de morceaux dans notre studio ou dans mon appart, et ça se ressent sur l’album. Et puis avec Human Performance, on a retrouvé le studio, mais j’ai mixé l’album en n’étant pas un super bon ingénieur du son, donc ça a ajouté une touche légèrement ‘maison’ une fois encore. Avec Wide Awake!, on a eu un super bon ingénieur du son pour faire le mix, et puis on a travaillé avec Brian. Pour moi, en quelque sorte, c’est aussi une réaction au fait d’avoir réalisé par mal de trucs nous-mêmes sur Human Performance.
A. Savage : Peut-être que le prochain album sera enregistré sur un iPhone, qui sait ? En fait, ça n’a pas vraiment d’importance, le studio n’a pas besoin d’être aussi sophistiqué, ça peut être beaucoup plus simple. Quand tu es musicien, c’est marrant d’être au studio Sonic Ranch, là où on a enregistré Wide Awake! : tu as tout ce matos et ces accessoires auxquels tu n’as habituellement pas accès mais, au final, ce qui compte vraiment, ce sont les morceaux.

Des thématiques diverses et variées sont abordées sur cet album, elles font écho à une actualité souvent violente. Sur le titre Violence justement, vous semblez dénoncer l’acceptation de la violence dans la vie de tous les jours. Que pensez-vous du paradoxe actuel qui existe aux USA, entre les tueries de masse et la relative flexibilité dans le contrôle des armes ?

J’espère que ça saute aux yeux des gens que la violence nous répugne. Mais ce n’est pas un sujet nouveau chez Parquet Courts : des morceaux comme Two Dead Cops ou Uncast Shadow of a Southern Myth abordaient déjà ce thème, sous un angle différent. Cette fois, nous en parlons probablement d’une manière plus directe et explicite, on appuie sur le fait qu’il est devenu banal d’accepter des choses qui ne devraient pas être considérées comme normales. Les gens chez nous ont accès aux armes tellement facilement, y compris à des armes de guerre… Vous avez eu votre dose de violence ici aussi en France, mais c’est dur d’expliquer ce que l’on ressent face à des évènements tragiques : les explosions à Austin, la récente tuerie dans un lycée en Floride, Las Vegas… Mais c’est malheureusement ancré dans la vie quotidienne.
Austin : On ne sait pas pourquoi ça continue. Bien sûr, on comprend comment ça arrive, parce tu as cette organisation incroyablement puissante qu’est la NRA, qui milite pour la libre circulation des armes… Mais ça n’a juste pas de sens, c’est illogique.

Donald Trump a été élu président il y a un peu plus d’un an maintenant. Quelle est votre opinion sur le ressenti des américains ? Y a-t-il eu un changement d’opinion ou une prise de conscience depuis son arrivée au pouvoir ? Les gens commencent-ils à percevoir le danger que représente un tel personnage à la tête de la première puissance mondiale ?

A. Savage : Il y a eu beaucoup de regrets chez les gens qui ont voté pour lui, c’est sûr.
Austin : Je pense que beaucoup de gens, surtout chez les conservateurs et les républicains, ne partageaient pas forcément ses opinions, mais ont voté pour lui quand même. Il y avait l’idée que rien ne changerait, que ça ne ferait aucune différence si c’était lui ou un autre tant le camp précédent n’avait de toute façon rien changé. Et pendant 8 ans dans notre pays, je dois admettre que c’est un peu vrai : Obama était vraiment idéaliste dans sa campagne électorale, et il y a énormément de choses qu’il n’a pas réussi à bouger. Donc les gens se sont dits : ‘Trump ? Peu importe, de toute façon ça ne changera rien, ce type est un gros con, mais c’est NOTRE gros con‘, ou bien ‘De toute façon, tous les politiciens sont corrompus‘… Nous apprenons de tout cela maintenant, nous réalisons à quel point le poste à la maison blanche est puissant, comme à quel point les personnes dont Trump s’entoure, les pires du pire, sont complètement corrompues.
A. Savage : Je pense surtout que, aujourd’hui, les américains ont plus peur qu’autre chose.
Austin : Ça a également créé une atmosphère de division. D’un côté, il y a ceux qui sont énervés contre les électeurs de Trump, puis de l’autre ceux qui ont voté pour lui et qui, par honte, sont sur la défensive et n’assument rien des discours comme des faits et gestes du président: ‘Ne me blâmez pas moi, blâmez Trump‘. Et puis il y a les extrêmes qui ont voté pour lui et qui ne regrettent rien. Malheureusement, ce sont sans doute ceux que l’on voit le plus souvent dans les médias car ce sont eux qui font le plus de bruit. Ce que l’on voit à la télé n’est pas forcément révélateur de l’opinion générale. Je pense que la grande majorité des américains ne supporte pas Trump, enfin c’est mon opinion. Les médias relaient les opinions extrêmes, mais c’est bien plus complexe que ça en a l’air. Je pense que l’on commence doucement à mesurer cette sorte de manipulation, ce lavage de cerveau qui a eu lieu dans notre pays tout au long de la campagne électorale… Ca me rend relativement optimiste sur le fait que l’on dépassera tout ça, et qu’on sera capable de rejeter toutes ces idées néfastes qui ont germé au cours de la dernière décennie.

Revenons à la musique… Vous avez souvent le don de structurer vos morceaux de façon anormale et inhabituelle. C’est encore le cas sur cet album, comme en témoigne la superposition de 2 morceaux sur Almost Had to Start a Fight / In and Out of Patience… Y a-t-il une volonté chez Parquet Courts de s’affranchir des standards classiques ?

A. Savage : Bien sûr, ça fait partie du travail quand on est compositeur. J’ai toujours eu envie de progresser et de faire quelque chose de toujours plus passionnant. Ces morceaux aux structures inhabituelles sont intéressants parce qu’ils vont à contre sens de ce que l’on considère être une structure ‘traditionnelle’.
Austin : Mais j’aime bien également écrire des morceaux aux structures très traditionnelles. Par exemple, Death Will Bring Change a une structure très classique avec couplet, refrain, pont… C’est un style très ‘Beatles’ que j’aime être capable de reproduire. Il faut connaître les règles avant de les enfreindre, pas vrai ? Puis c’est également assez marrant de mettre ta propre empreinte sur la structure d’un standard pop.

Sur ce sixième album vous semblez rester attachés à vos guitares souvent très minimalistes, très hachées. Est-ce votre façon de ne pas vous cacher derrière des artifices ?

Je pense qu’il est plus important de se concentrer sur la manière de communiquer une idée au public, que sur une performance guitaristique.
A. Savage : Ouais, les gens parlent beaucoup de ces grands guitaristes virtuoses. Mais personnellement, mes musiciens préférés sont ceux qui accordent autant d’importance à leur performance qu’au contrôle de leur instrument. Ce sont également ceux qui savent faire preuve de retenue dans leur jeu, et qui savent à quel moment il faut laisser respirer le morceau.

Vous gardez la main sur l’intégralité des artworks (t-shirts, pochettes…). Est-ce une volonté de votre part de considérer les visuels comme une création à part entière, et complémentaire de vos albums ?

A. Savage : Bien sûr, je considère ça comme complémentaire. Les visuels et la musique sont très liés pour moi. Je veux développer un langage visuel, un style propre à Parquet Courts que je pense avoir trouvé, et qui est d’ailleurs distinct de celui que j’utilise en dehors de Parquet Courts. Je veux que les visuels aillent avec l’album. J’ai toujours pensé qu’un album devait ressembler à la manière dont il sonne.

Vous êtes originaires du Texas, mais Parquet Courts s’est formé à New York, une ville récurrente dans vos paroles. Il semble que vous la chérissez autant que vous dénoncez sa gentrification…

Cette ville a toujours été en perpétuelle évolution. Quand les gens essayent de définir New York, ils parlent souvent d’une période dont ils sont nostalgiques et qui est importante à leurs yeux. Beaucoup évoquent les seventies comme l’ultime période où il faisait bon y vivre. Cette ville est différente de jour en jour, mais c’est là où nous vivons, et elle a évidemment une place très importante pour nous et pour notre identité artistique. Mais on critique également beaucoup New York. Sur NYC Observation par exemple, on parle du fait qu’il est impossible d’y vivre sans être quotidiennement témoin de l’extrême pauvreté.
Austin : Aussi, cette ville se fout de toi. Je veux dire par là qu’elle existe et continuera d’exister bien après toi. Se demander si on aime la manière dont elle change ou non n’est en quelque sorte pas pertinent, car elle est tellement plus grande que toi… C’est sûrement la raison pour laquelle tant de gens sont attirés par elle.


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