Egyptian Blue, générateur d’émotions

Egyptian Blue, générateur d’émotions

Combien de fois faudra-t-il vous convaincre de jeter une oreille à un nouveau groupe de post-punk – anglais de surcroît – avant que vous jetiez l’éponge, découragés par le rythme des sorties ? Parce que vous auriez tort de jouer les flemmards et de passer à côté d’Egyptian Blue, comme de son premier album A Living Commodity ! Pour en savoir plus, on a rencontré les deux amis d’enfance Andy Buss et Leith Ambrose. Taiseux de nature mais très loin d’être froids dans l’échange, ils ont joué le jeu, confortablement installés dans le hall d’un hôtel de Montmartre.

On dit communément que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. J’ai l’impression que ça a été le cas pour vous avec la pandémie…

Andy : Oui et non. En fait, on avait déjà signé un deal album avant que la pandémie éclate. Du coup, nous étions tous impatients de concrétiser et les événements nous ont dévasté en nous coupant l’herbe sous le pied. Tout s’est effondré autour de nous, y compris le deal. Mais avec un peu de recul, on peut aujourd’hui considérer que ça a plutôt été une bénédiction, dans le sens où ça nous a laissé le temps de mûrir notre son, d’explorer plus en profondeur notre songwriting et de canaliser nos émotions de la meilleure des manières. Ça a été une période stressante qui a fait sortir beaucoup d’émotions pour nous. Il y aura au moins eu cet aspect positif.

Vous avez apparemment écrit une trentaine de morceaux pour ce premier album. Doit-on s’attendre à une deuxième fournée rapidement, ou est-ce que les chutes de studio vont finir à la poubelle ?

Andy : Je n’en sais rien… Je les aime beaucoup en tout cas. Il y a des morceaux vraiment bizarres dans le tas, comme certains de presque dix minutes, avec des synthés partout, alors que ce n’est pas du tout dans nos habitudes ! On devrait parler à notre manager pour voir ce qu’on peut faire de tout ça…
Leith : On a déjà eu des discussions à propos de cette envie de déterrer ces morceaux. Mais il faut d’abord s’occuper de A Living Commodity !

Vous avez aussi ré-enregistré des anciens titres pour cet album. Était-ce par perfectionnisme ou parce que ça vous a simplement amusé ?

Leith : C’est encore la faute de la pandémie… Certains de nos morceaux datent tellement qu’ils ont été enregistrés avec des musiciens qui ne sont plus dans le groupe à l’heure actuelle. Et comme il n’y avait aucun débat sur la présence essentielle de ces morceaux sur notre premier album, on a voulu leur donner un petit coup de lifting.
Andy : Notre son a évolué en même temps que ces morceaux. Personnellement, je préfère les versions de l’album plutôt que celles des EPS. Un saxophone en plus, ça fait toujours plus mature et professionnel !

Parlons du titre qui donne son nom à l’album. C’est un commentaire sur le fait que les gens de l’industrie du divertissement sont considérés comme des biens plutôt que comme des personnes. Pensez-vous que ce sentiment est voué à empirer ?

Andy : Je ne sais pas… C’est une question tellement profonde, pas vrai ?
Leith : L’idée du titre vient d’une discussion qu’on a eu dans la rue avec Andy, à propos de l’impression qu’on a parfois d’être utilisés comme une sorte de marchandise. C’est probablement de pire en pire dans certaines parties du monde mais toute la beauté du jeu réside dans le rejet total d’une telle considération.

Vous pensez également que la musique doit être ambiguë et que tout est une question de perspective. Mais si vous pouviez choisir l’émotion que ressent une personne écoutant Egyptian Blue, ça serait laquelle ?

Andy : Honnêtement, elle peut ressentir ce qu’elle veut, tant qu’elle ressent quelque chose ! Chaque émotion procurée est une petite victoire. Je prends un énorme plaisir à entendre les gens me dire que notre musique les a rendus tristes, ou en colère. On vient de faire une tournée en Angleterre et, après le concert de Cardiff, un mec m’a raconté que la chanson A Living Commodity l’a aidé a traversé une période incroyablement difficile de sa vie. C’est fou qu’une parole que j’ai écrite ou qu’une note que j’ai joué puisse autant résonner chez quelqu’un.

Theo Verney semble être bien plus que le producteur de cet album. Vous pouvez me parler de votre relation amicale et de travail ?

Andy : Nous sommes très bons amis et avons une bonne connexion. On vivait tous ensemble dans un appartement pendant l’enregistrement de l’album, à nous nourrir exclusivement de pâtes. Quand tu discutes tous les matins avec ton producteur, le café en main, ça donne le ton pour la suite. En studio, Theo était très impliqué et enthousiaste. Il aimait nous décrire des scènes pour nous faire comprendre ce qu’il voulait. Par exemple, il nous disait : ‘pour cette prise, je veux que vous vous imaginiez en URSS, entourés de bâtiments brutalistes‘.
Leith : On a eu du temps pour travailler avec lui, encore une fois à cause de la pandémie. On s’est senti tellement isolé auparavant que, quand on s’est retrouvé tous ensemble, on ne pensait plus qu’à profiter. Ça a également permis à notre relation de mûrir.

Êtes-vous un peu effrayés par la hype qui entoure le groupe, surtout après avoir tourné avec Foals et The Murder Capital ? Les jours heureux des sous sols collants et moites sont-ils derrière vous ?

Andy : Non, je ne pense pas… Nous progressons, c’est certain, mais nous pouvons toujours retourner dans ce genre d’endroits. D’ailleurs, on y joue toujours, je te rassure ! C’est différent lorsqu’on sort d’Angleterre : il y aura toujours des sous-sols en République Tchèque…
Leith : Nous ne craignons rien. Au contraire, c’est plutôt grisant. Tant qu’on aura un public qui sue devant nous, ça restera fun.

Vous vous êtes rencontrés à l’âge de 11 ans. Qu’aurait dit la jeune version de vous-mêmes si on l’avait informé que vous alliez rencontrer le succès et tourner dans toute l’Europe ?

Andy : Je ne t’aurais probablement pas cru, mais ça m’aurait foutrement excité ! À l’époque, c’était un rêve inaccessible.
Leith : Ouais, j’aurais sûrement pété un plomb.

En parlant de votre jeunesse, vos premières répétitions se résumaient apparemment à boire deux litres de whisky et à jouer pendant des heures. Êtes-vous nostalgiques de vos débuts ?

Andy : Pas du tout ! C’était horrible !
Leith : Les gueules de bois seraient encore plus atroces si on avait continué ainsi.
Andy : Ce n’est vraiment pas la bonne façon pour répéter et faire de la musique. On foutait tout au volume maximum, on se bourrait la gueule et on dormait sur place. C’était un endroit bizarre en plus, une sorte de boutique de bijoux. Maintenant, on répète par créneaux de deux heures en portant des bouchons.
Leith : On vient d’une ville militaire, donc la police venait de temps en temps nous faire chier pendant nos répétitions. Elle pensait qu’on saccageait la boutique.

Du coup, votre premier concert s’est fait devant un public de flics et de militaires ?

Andy et Leith: Ouais, carrément !

Vous ne semblez pas très investis et proches de votre scène locale de Brighton. Est-ce pour vous tenir à l’écart des potentielles influences ?

Andy : Non, pas forcément. C’est juste qu’on fait nos petites affaires dans notre coin… La musique, c’est quelque chose de purement émotionnel donc je suppose que c’est notre moyen de faire en sorte qu’elle continue à l’être, sans avoir d’interférences.
Leith : Ça ne nous empêche pas de supporter pleinement la scène locale où l’on trouve plein de groupes incroyables. Mais nous ne sommes pas pour autant des amis proches, à part avec DITZ. Puis tout le monde se barre à Londres de toute manière…
Andy : Moi, je ne sors pas vraiment de chez moi. Donc je ne peux logiquement pas être impliqué dans une scène si je ne sors pas, et que je reste à la maison à me demander quand la journée va bien pouvoir se terminer.

Leith, tu es apparemment obsédé par le jeu de guitare de Keith Levene, le guitariste de Public Image Limited. Ce son métallique particulier est une de tes plus grosses influences pour Egyptian Blue ?

Leith : C’est un pote qui m’a fait connaître PIL et j’en suis devenu obsédé. De l’album Metal Box notamment. Je n’avais jamais rien entendu de similaire auparavant. Le son de Keith Levene me fait penser à la fois où notre bassiste Luke a jeté des panneaux de signalisation sur scène. Ça sonnait de la même manière !
Andy : Putain, c’était vraiment fendard ce concert ! Luke s’était réveillé dans sa chambre avec tous ces panneaux de signalisation autour de lui, sans même savoir comment ils avaient atterri là.

Vous citez aussi pas mal Don Caballero dans votre liste de groupes favoris. Votre cœur pencherait-il finalement plus du côté math rock que du côté post-punk ?

Andy : Je ne sais pas. En tout cas, l’album American Don est absolument incroyable. C’est vrai que j’aime assez la musique mathématique, avec des signatures rythmiques bizarres. C’est juste de l’Art, putain ! Post-punk ou math rock, peu importe, je suis quelque part entre les deux.
Leith : Ce terme, post-punk, est redondant. Un bon groupe est un bon groupe. Point barre.

Photos : Titouan Massé, Jessica Calvo (header)

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