Interview – Moderat, discussion en état second

Interview – Moderat, discussion en état second

Ce soir-là, l’Aéronef de Lille annonce évidemment salle comble. Pas étonnant puisque les allemands de Moderat sont de passage pour défendre sur scène leur somptueux second album. Sascha Ring (aka Apparat) étant en pleine sieste, nous nous retrouvons face aux sympathiques Gernot et Sebastian de Modeselektor qui répondent à nos questions au nom du trio, malgré un évident coup de barre résultant d’une fatigue accumulée pendant cette tournée qui s’annonce longue et intense.

Dommage que Sascha dorme, j’avais quelques questions pour lui!

Gernot: En fait, tu entends le son de nos voix, mais on est en train de dormir aussi.

Pour cet album en particulier, quel était le rôle de chaque entité? Etait-ce un travail d’équipe? Modeselektor et Apparat ont-ils chacun apporté leur propre son?

Oui, cette fois, c’était vraiment un travail d’équipe. On ne voulait pas faire un disque ‘Modeselektor meets Apparat’. Sascha (Apparat, ndlr) a écrit les paroles et a joué le rôle du chanteur, mais a aussi travaillé sur les mélodies… En fait, je pense qu’on a tous travaillé sur les mêmes choses. Nous produisons tous des beats, nous écrivons tous des chansons, peu importe. Ça n’a jamais été le plan de mixer la poésie d’Apparat et la violence de Modeselektor. L’idée du premier album était vraiment d’organiser une ‘rencontre’. Cette fois, nous ne voulions pas répéter ça, et c’est l’une des raisons pour lesquelles la musique est différente.

Y-a-t-il eu des changements au sein du show?

Oui. C’est plus compliqué maintenant. Il faut vraiment être tout le temps concentré! Moi en particulier, si je ne suis pas concentré, je peux faire foirer le live! (rires) Nous sommes tous les trois connectés de façon très old school. J’envoie du midi, des signaux audio et vidéo, et d’autres signaux plus modernes via ethernet. J’envoie tellement de signaux depuis mon ordinateur…
Sebastian: Il y a du sans-fil partout!

Gernot, on dirait bien que tu es le boss du live show?

Gernot: Je suis le chef oui. Je suis plutôt le conducteur. Mais quand tu conduis en rallye, tu as toujours besoin du co-pilote à côté de toi! C’est lui qui te dit ‘gauche! droite! freine!‘. Conduire de cette manière, ça a toujours été mon rôle au sein de Moderat comme de Modeselektor.
Sebastian: Et moi je suis le navigateur! (rires)

Vous m’avez parlé des changements musicaux dans le live. Qu’en est-il du côté visuel?

Gernot: Nous avons de la vidéo pendant toute la durée du show.
Sebastian: De la vidéo, et des lights!
Gernot: La musique et la vidéo interagissent. Quand la musique change brusquement, la vidéo et les lumières y réagissent. C’est une installation intéressante, tu verras.

Donc vous avez la liberté d’improviser?

Oui. Pour que ça marche, ça nous a pris beaucoup de temps, de réflexion et d’énergie.
Sebastian: Tout ça semble compliqué mais nous formons une bonne équipe!
Gernot: Pour trouver toutes ces solutions techniques, on a dû acheter une nouvelle table pour les lights, de nouveaux projecteurs…
Sebastian: Il fallait des projecteurs spéciaux pour pouvoir projeter des images sur nos écrans. Nous avons effectué énormément de tests pour en arriver là…
Gernot: Amener tout ça sur scène, c’était au moins autant de travail que la composition elle-même.

Est-ce que ça évolue encore?

Oui, tout le temps. On ajoute de nouvelles chansons, on en retire… Nous sommes constamment en train de changer et d’améliorer. C’est une histoire sans fin!

Quel est votre morceau favori d’Apparat?

En fait, ce n’est pas un morceau, c’est un remix qu’il a fait pour Nathan Fake, ‘Charlie’s House’.
Sebastian: Moi, c’est ‘Sayulita’, celui qui est paru sur son DJ Kicks.

Sascha n’est pas là, mais j’aurais voulu lui demander quel était son morceau favori de Modeselektor!

Gernot: Je dirais ‘German Clap’, mais je n’en suis pas sûr…

A quel moment avez-vous réalisé que Moderat ne serait pas un projet éphémère?

Quand on a terminé le premier disque, nous voulions partir en tournée pour trois mois. Elle a duré deux ans! On a réalisé qu’il y avait énormément de potentiel. C’est aussi bon pour nous de prendre congé de nos projets principaux. Nous ne sommes pas obligés d’être Modeselektor ni Apparat, nous pouvons faire autre chose. Je pense que nous avons chacun déjà dit beaucoup de choses avec nos projets respectifs. Nous avons sortis beaucoup de disques, fait beaucoup de concerts… Nous nous lassons très vite de la musique électronique, surtout de la techno. J’ai grandi avec ça, et pour moi c’est devenu ennuyeux depuis le milieu des années 90! Je cherchais déjà le breakbeat, la jungle, et d’autres trucs un peu bizarres, tout comme Sebastian et Sascha. Quand tes propres projets ne te satisfont plus assez, tu cherches à faire autre chose, et Moderat est la plate-forme parfaite pour nous, parce que nous sommes trois, dans une nouvelle situation, et nous nous connaissons très bien. Nous avons la même vision.

Chaque fois qu’un disque de Modeslektor sort, celui d’Apparat n’est pas loin. Vous êtes à peu près calés au niveau des sorties. Moderat en est-il l’unique raison?

C’est un rythme naturel. Quand on termine Moderat, on se remet sur nos projets, et je pense que nous avons besoin du même temps pour produire de la musique. Tu as des musiciens très rapides qui font des disques en deux semaines, et qui tournent ensuite pendant deux ans. Pour nous, le process prend un peu plus de temps, et il est quasi-identique. En ce moment, on peut dire que Moderat est notre projet principal.

Quelle est la plus grande qualité de Sascha?

Il a un esprit très aiguisé. C’est un nerd. Il est très intelligent, sur les plans technique et émotionnel. Il est toujours sceptique, très pointu, et il a un standard très élevé concernant son opinion sur la musique que l’on veut faire. Il est un peu comme moi, en moins fou. Je suis plus joueur, je ne prends pas les choses trop au sérieux. Sacha prend ça très au sérieux, ce qui est bon pour moi. Mais mon caractère est aussi bon pour lui, c’est un équilibre!
Sebastian: Et moi je prends soin de ces deux-là! (rires)
Gernot: C’est vrai! Il est au milieu, c’est lui qui règle la balance! Parce que de temps en temps, on se bat…
Sebastian: C’est vraiment bien d’avoir un projet avec trois personnes. Après le premier album de Moderat, nous sommes retournés en studio pour Modeselektor. Nous avons appliqué beaucoup de choses que nous avions apprises avec Moderat, comme le travail d’équipe. Nous avons sorti l’album ‘Monkeytown‘ plus rapidement que d’habitude. C’était plus facile de prendre les bonnes décisions. Nous avons travaillé vite, et nous nous sommes également inspirés de cette expérience pour le live show.

Comme vous êtes trois pour Moderat, j’imagine qu’il y en a toujours un pour trancher et prendre la décision finale. Comment ça se passe pour Modeselektor? Vous vous engueulez souvent?

Gernot: On se connaît depuis que j’ai neuf ans. On est comme des frères. Bien sûr, il y a quelques disputes.
Sebastian: De toute façon, ça serait chiant de tout faire en ‘harmonie’.
Gernot: Trop d’harmonie, ça tue la créativité. Dans Modeselektor, il y a un équilibre qui existe également dans Moderat, sous une autre forme. Il y a deux mecs bizarres, et un mec cool.
Sebastian: Je ne suis pas si bizarre!
Gernot: Oui, il est juste un peu étrange, mais il est toujours relax, il voit les choses sous un autre angle. Nous avons presque la même vision des choses, mais ça ne signifie pas que c’est toujours la bonne. Et quand je deviens fou, Sebastian me dit ‘Va dormir, relaxe-toi, ça ira mieux demain!‘.

Ma question suivante était pour Sascha. Je voulais qu’il me donne le plus gros défaut de Modeselektor. Du coup, je ne saurai jamais… (rires). La dernière tournée de Sascha s’appelait ‘Apparat Band’. Avez-vous déjà réfléchi à monter un ‘Moderat Band’?

Non. Je trouve ça un peu dangereux d’inclure des instruments de musique en étant un groupe électronique. Sascha a décidé de faire une musique différente de ce qu’il avait l’habitude de faire. Mais tu imagines Modeselektor ajouter un batteur et un guitariste? (il fait la grimace, ndr) Non, je déteste ça, ce serait horrible.
Sebastian: J’estime que nous sommes déjà un groupe, un ‘band’. Mais nous n’inclurons personne d’autre, et ne nous appellerons jamais ‘Moderat Band’.
Gernot: Il n’y aura jamais de musiciens supplémentaires. Peut-être juste des chœurs, éventuellement…

On peut entendre le morceau ‘A New Error’ dans plusieurs films. Ferez-vous un jour de la musique spécialement pour le cinéma?

Je pense que c’est effectivement quelque chose que l’on fera bientôt!

Des projets en cours?

Peut-être… (rires)

Pouvez-vous me dire un mot concernant le morceau ‘Gita’ et la vidéo réalisée pour l’UNICEF? Comment cette opportunité s’est elle présentée?

C’est l’UNICEF qui nous a contactés. Ils nous ont expliqué le concept, en quoi consistait la campagne. Ils ont vraiment aimé la chanson et ils voulaient l’utiliser dans ce cadre. L’UNICEF vient te voir et te demande de la musique pour une campagne contre la violence à la maison… Je pense qu’il faut être un gros groupe de heavy métal vraiment hardcore pour dire ‘non, allez vous faire foutre!‘ (rires). On a apprécié l’idée et le résultat est cool.

Parlons un peu des pochettes des albums de Moderat. La première représente une femme qui se met un poing dans la gueule… Qu’est-ce que ça signifie?

Sebastian: Parfois, il faut savoir se l’infliger… (rires)
Gernot: C’est pour protester contre la violence à la maison (rires). Je veux dire, l’auto-violence! Je ne sais pas trop en fait. C’est inspiré d’un dessinateur de BD qui s’appelle Krump. Mais les deux pochettes sont réalisées par un artiste qui fait aussi de la musique, Siriusmo. C’est un bon ami, qui est aussi sur notre label. Pour la première pochette, je lui ai juste expliqué l’idée et il l’a dessinée. C’est un peu bizarre parce qu’effectivement, tu ne sais pas vraiment ce qui se passe. Je ne pense pas que le but de la pochette soit toujours de raconter une histoire, ni d’avoir un sens en particulier. Si c’est un bel objet, ça suffit. Pour la seconde, nous avions beaucoup d’idées…

S’agit-il de quelqu’un qui retire sa peau ou qui met un masque?

C’est à toi de décider! C’est aussi fait pour laisser le doute. Finalement c’est un peu nous. Tu ne sais pas vraiment si on utilise un masque ou si on le retire. En fait, on ne le sait pas nous-mêmes… (rires)

Vous avez sorti une nouvelle édition de l’album ‘II’, avec deux cds et un dvd. Est-ce que vous réalisez que les fans vont devoir racheter l’album?!

Sebastian: Quand j’ai le temps et que je vais à un concert, j’aime acheter le ‘Tour Edition’. Ça me permet d’avoir un souvenir, et de repartir avec quelque chose de la soirée. OK, l’album est le même, mais nous y avons ajouté pas mal de bonus. Il y a des remixes, des versions alternatives, mais aussi la version instrumentale de l’album.
Gernot: Ça, c’est pour ceux qui se plaignent que l’on soit devenu trop ‘poppy’! (rires)


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