Une semaine dans le bendo – Mr Anderson et Mansa Moussa, alter géniaux

Une semaine dans le bendo – Mr Anderson et Mansa Moussa, alter géniaux

Le bendo, c’est le quartier, celui-là même où le hip-hop fait résonner ses paroles et ses flows depuis plus de trente ans. Mais, aujourd’hui, c’est la France entière qui vit au rythme de ses rappeurs. Alors, pour tous les amateurs de cette ‘sous-culture d’analphabètes’ chère à Eric Zemmour, on se mouille la nuque, on prend une grande respiration, et on plonge dans cette semaine agitée de rap français.

Ces derniers mois, les deux superpuissances du peura que sont les États-Unis et la France ont connu nombre de projets de qualité, parfaitement calibrés pour nos avides tympans d’auditeurs. Si, Outre-Atlantique, on peut se targuer d’avoir enfanté les très complets Call Me If You Get Lost (Tyler, the Creator), Culture III (Migos) ou le plus récent Vince Staples (Vince Staples), depuis vendredi dernier, la scène rap hexagonale n’a plus rien à envier à sa grande soeur américaine. Nos artistes excellent en effet, que ce soit sur l’opus conceptuel de Laylow ou les tubes addictifs de MHD.

En libérant Mr Anderson, c’est Laylow qui s’évade

En 2020, Laylow avait sorti Trinity, une uchronie futuriste, saturée, et l’un des albums de l’année. Il vient sûrement de remettre ça, et dans un tout autre genre. L’étrange histoire de Mr Anderson est un véritable récit, qui voit les titres de l’album entrecoupés de saynètes, principalement des dialogues. L’histoire presque inintéressante du jeune homme qu’est Jey (Laylow), en conflit avec sa mère, galérant avec ses potes et voulant percer dans la musique. Tout au long de l’opus, sa solitude devient de plus en plus pesante, et Mr Anderson de plus en plus présent. Cet homme, c’est l’autre face de Jey, celui qu’il a oublié depuis des années, comme l’explique le magnifique court-métrage éponyme de l’album, sorti il y a quelques semaines. Dans une ambiance fantastique à la Tim Burton, on y voit les deux personnalités de Laylow se réunir.

Du point de vue strictement musical, Laylow ne fait pas mentir sa réputation. L’artiste peroxydé nous réserve une véritable pépite, mêlant nombre de mélodies et de rythmes différents mais harmonisés, et aux voix moins saturées que sur Trinity, laissant plus de place aux flows rappés. Ainsi en est-il du très bouncy Window Shopper part. 1, ou du dépressif mais non moins beau Voir le Monde Brûler. L’artiste en profite même pour évoquer les violences policières et les violences conjugales (et notamment la lâcheté des hommes face à ces dernières sur Help), sans jamais faire la morale. Ce retour au hip-hop est symbolisé par les invités de l’album : Alpha Wann, Damso, Nekfeu, Hamza… Si ceux-ci sont des têtes d’affiche de la scène francophone, les collaborations nous laissent néanmoins sur notre faim. L’univers cinématique de Laylow, si riche et particulier, ne laisse sans doute que peu de place aux acteurs extérieurs.

Au fil de LEHDMA, l’auditeur se prend en effet à suivre les péripéties nocturnes de Jey, qui lâche finalement ses faux amis pour Mr Anderson. Croire en soi, ne pas tenir compte des critiques, là est le principal message de l’album. Ce mojo se retrouve dans le court-métrage : ‘Quand les humains n’arrivent pas à comprendre quelque chose, ils accablent. Il ne faut pas écouter les gens’. Ces phrases pleines d’espoir sont prononcées par les deux personnages quand ils sont réunis, sur des notes d’une chanson. Cette chanson, c’est Spécial, le joyau de l’opus. Sur cette petite mélodie, Laylow pousse l’espoir à son paroxysme en s’adressant directement à l’auditeur, se rapprochant intimement de lui. Un couplet à la deuxième personne du singulier qui engage les jeunes déprimés, tels que Jey, à prendre des risques, à se rapprocher de leur côté créatif : Mr Anderson. Un magnifique coup de fouet sur un projet qui a tout d’un coup de maître.

L’afro trap de MHD brise les barreaux

C’était l’une des histoires les plus sombres de ces dernières années. MHD, petit prince de l’afro trap – style qu’il a créé et que personne n’a pu reproduire aussi bien que lui – adoubé à l’international, avait été écroué pour homicide volontaire suite à une affaire de 2018. Voilà désormais un an que Mohamed Sylla, de son vrai nom, a été libéré. Et, s’il est encore sous contrôle judiciaire, son talent, brut, authentique, ne pouvait pas être entravé par l’épreuve de la prison. Mansa Moussa, du nom de l’Empereur du Mali réputé pour être l’homme le plus riche de l’Histoire de l’humanité, est un véritable second souffle, qui balaie les cendres de l’ancien MHD pour faire renaître le roi de l’afro trap.

Tout au long du projet, justement, le rappeur du 19ème arrondissement ne cesse de réaffirmer son statut, celui d’artiste mondialement reconnu, riche, comme pour oublier qu’il en avait été déchu. Et force est de constater que l’interprète de Roger Milla ou A Kele nta nous avait manqué. Nombreuses ont été les tentatives d’imitations, mais très peu sont concluantes, si l’on exclut les titres survitaminés de Junior Bvndo : ‘J’ai vu des mini-moi mais ça se voit que c’est du calqué’. Sur Mansa Moussa, MHD reprend sa couronne comme s’il ne l’avait jamais portée. Les rythmes incroyablement entraînants, sa marque de fabrique, sont évidemment présents. On peut notamment citer les bangers Illimité, Sagacité, FNR et l’afro trap part. 11, King Kong. Les mélodies parfois plus douces, comme sur Beyoncé ou Thieba, sont aussi de la partie.

Mais la véritable force de MHD, surtout sur son dernier opus, est sa sincérité. On en vient même à apprécier ses quelques fautes de grammaire, comme pour le 113 à l’époque, qui ne révèlent en fait qu’une manière d’écrire très authentique. Cet état d’esprit sans concession se ressent aussi dans les paroles du rappeur. Si le jeune homme doit reconquérir son audience et l’opinion publique, il le fera seul, sans la scène rap : ‘C’est des menteurs, ils font zehma ils m’ont tous vu grandir ; Fils de, t’es pas mon grand, et j’suis pas ton petit’. C’est Dinos qui va être content, lui qui aurait ‘aimé éviter ces embrouilles à MHD’ sur son album Taciturne… Le sommet de la sincérité se trouve logiquement sur l’outro, sobrement nommée 9min. Sur ce titre, Mohamed Sylla débite presque sans flow ses peines, ses doutes, l’expérience de la prison et la nostalgie, mais aussi l’espoir sur une mélodie émouvante. Qu’importe les épreuves, le roi de l’afro trap restera accroché à son trône.

Bekar de plus en plus complet sur Mira

Bekar est talentueux, c’est indéniable. Le poulain de l’écurie Panenka – dirigée par Fonky Flav, ancien membre de 1995, et composée de rappeurs reconnus tels que PLK, Georgio ou Tsew the Kid – a déjà prouvé sur Boréal (2019) et Briques rouges (2020) qu’il savait allier flows, paroles et musicalité pour proposer du bon rap. Sur son troisième projet, Mira, il étoffe encore un peu plus sa palette, en chantant et s’essayant à diverses ambiances. Le kickage est évidemment toujours présent sur les 9 titres, à l’image de Opinel, l’intro. Mais Bekar chante aussi sur des beats zumba, à la manière d’un Jul ou d’un Gradur, influence évidente du jeune roubaisien. Ainsi, Yamamoto rythme un titre sombre, tandis que Fenêtre Sur Mer est carrément summer. Malgré l’étendue de sa palette, le rappeur doit maintenant affûter ses talents pour espérer devenir une tête d’affiche du rap français.

Les clips de la semaine

Révélation rap français de l’année, Benjamin Epps délivre le tarantinesque Goom, l’un des meilleurs titres de son Fantôme avec Chauffeur, sorti ce printemps. Ça tombe bien, on ne se lasse pas de son flow sur la phase ‘Marine dans un burkini, Diam’s dans un bikini’.

Zuukou Mayzie, avec sa Segunda Temporada parue il y a deux semaines, confirme son statut d’artiste alternatif, dans la lignée d’un Disiz. Il le prouve en s’accompagnant du groupe The Pirouettes dans le barbecue entre amis de Skr Skr.

C’est toujours un plaisir pour nos tympans de savourer les schémas de rimes de Deen Burbigo. Ce dernier sort Ojisama, pour une belle ambiance parisienne entourée de ses proches et fans.

Pour son Memento, réédition de l’album Stamina, Dinos est accompagné de Damso sur Du Mal à te Dire. La réunion de deux des meilleurs rappeurs francophones dans un clip soigné.

Allez, on enlève les baskets, on remet ses boots et son cuir, et à la semaine prochaine dans le bendo !

Salade Tomates Oignons, la playlist rap français de Mowno, est à retrouver ici


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