
14 Mai 19 Une semaine dans le bendo – Le sensuel Antidote de Shay
Le bendo, c’est le quartier, celui-là même où le hip-hop fait résonner ses paroles et ses flows depuis plus de trente ans. Mais, aujourd’hui, c’est la France entière qui vit au rythme de ses rappeurs. Alors, pour tous les amateurs de cette ‘sous-culture d’analphabètes’ chère à Eric Zemmour, on se mouille la nuque, on prend une grande respiration, et on plonge dans cette semaine agitée de rap français.
Qui a dit que le rap était misogyne ? Sûrement pas ses connaisseurs, sachant très bien que la place des femmes dans le mouvement est, sinon importante, au moins égale à celle qui leur est faite dans n’importe quel autre secteur. Un fait notamment vérifiable dans ‘Les femmes du rap’, la très bonne mini-série du Mouv’ mettant l’accent sur celles œuvrant dans les coulisses de l’industrie. Sur le devant de la scène aussi, de plus en plus de femmes s’émancipent de l’habituelle virilité du rap, sans pour autant oublier de distribuer flows énervés et punchlines dévastatrices. Ce fut le cas de Casey, Keny Arkana ou encore Diam’s, pour ne citer que les plus célèbres MCs de la gent féminine. C’est aujourd’hui l’affaire de Shay, qui a réussi à s’imposer comme LA rappeuse francophone (puisque Madame est Belge) du moment, et à générer l’attente autour de son nouvel album.
L’Antidote au manque de confiance en soi
‘T’as rien à faire là, t’es trop renoi pour ça, pourquoi tu rappes ? C’n’est pas pour les femmes…‘ Quand Shay reprend toutes les critiques discriminatoires qu’elle a subies sur Prends ton Time, ce n’est pas pour prendre le rôle de la victime, mais pour leur répondre un ‘Ta gueule’ affirmé et blasé. Car les jugements primaires, l’artiste doit y faire face depuis le début de sa courte carrière. Depuis sa signature sur le label 92i, appartenant à Booba, et même après le succès détonnant du titre PMW en 2016, premier extrait de son premier album Jolie Garce.
Shay s’est construite seule, même après avoir été jetée du label de Booba et humiliée par ce dernier. Elle le répète même à longueur d’album, dénonçant la fidélité temporaire des hommes et la jalousie de ses connaissances. La rappeuse assume en fait totalement sa personnalité, sa sensualité et son succès, ainsi que sa solitude : ‘C’est qui Clyde et c’est qui Bonnie ? Moi et moi on arrivera plus loin‘. Cette confiance, ce ‘Prends-moi comme je suis ou casse toi‘ craché aux tympans de l’auditeur est assez rafraîchissant, dans une époque où le rap joue de plus en plus sur l’émotion, mais même dans le contexte d’un rap féminin qui devait apparaître fragile pour plaire. Seule la dureté de Casey existait (et existe encore) dans cet état d’esprit : ‘Cessez de bousculer l’exclue à la gueule masculine, mes origines et mon air androgyne, je ne sais pas faire sans‘. D’ailleurs, Shay joue elle aussi sur le registre de la masculinité, d’abord en paraissant forte mentalement, mais aussi en laissant transparaître des désirs bisexuels lors d’interviews, par exemple.
Il est d’ailleurs intéressant qu’Antidote soit sorti le 10 mai, jour de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, sachant que l’affirmation de Shay passe par l’émancipation d’une femme, noire, fière de ce qu’elle est, de ce qu’elle pense, osant se dénuder sur ses réseaux sociaux, tout cela dans un milieu parfois pudique, voire puritain. Car c’est la principale caractéristique de la rappeuse : une sensualité troublante, envahissante, mais toujours jetée à la face, fière et forte. C’est ce qui fait tout le sel d’un morceau comme Ich Liebe Dich, dans lequel le refrain érotique est susurré par sa voix éraillée à condition que l’on ‘ferme la bouche’. L’artiste parvient d’ailleurs à cultiver cette image de femme fatale sur ses clichés comme dans sa musique.
S’il fallait néanmoins trouver une faille dans la carapace virile de Shay, ce serait peut-être la gêne d’éprouver des sentiments, ou, plus exactement, le fait de taire ces derniers par le sexe. Cette confusion est particulièrement présente sur des titres comme Notif, Ich Liebe Dich, encore une fois, ou Amour & Désastres, où la rappeuse propose de pimenter ses rapports pour lutter contre un ennui sentimental : ‘Enlace-moi avant qu’je me lasse, attache-moi avant qu’je me détache‘. Si Shay est frileuse au niveau émotionnel, elle ne l’est cependant pas musicalement. Son album mêle rythmes orientaux, latinos ou plus modernes, et l’artiste se permet même quelques folies, comme la rafale de kalach’ en guise de refrain sur Amour & Désastres.
Reste que Shay a frappé un grand coup dans le rap game avec son Antidote, compilant bangers, morceaux chantés et titres motivants sur un disque rafraîchissant.
Le retour à la street d’Oxmo Puccino
Le ‘Black Desperado’ est de retour ! Oxmo Puccino, l’un des plus grands rimeurs de l’histoire du rap, est sorti de sa pré-retraite cette semaine, et de bien belle manière. Le poète exerce en effet ses talents sur un rythme trap, comme ses jeunes contemporains, et s’en sort formidablement bien. Son flegme naturel est mis au service de l’énergie vivifiante de son flow, et l’ambiance du son est globalement réussie. Après trois ans d’absence, Oxmo n’a pas fait les choses à moitié puisqu’il a aussi sorti le clip du morceau, dans lequel il est déguisé en roi de France. Sur Twitter, l’artiste a enfin annoncé les dates de sa prochaine tournée, ce qui devrait ravir tous les fans de rap à l’ancienne.
Enfin un Questions pour un Champion du rap !
Alors que les médias rap, malgré la popularité de cette musique, peinent à conquérir les ondes radio et TV nationales, une nouvelle émission vient de voir le jour sur YouTube. Point d’analyses littéraires ou de critiques néanmoins, ce programme est un jeu ! Deux artistes, accompagnés de deux personnalités de la scène hip-hop française, s’affrontent en répondant à des questions portant sur la culture rap. Et, comme il fallait quelqu’un pour poser ces questions et animer le tout, Redbull n’a pas cherché loin : c’est Mehdi Maïzi, déjà animateur de La Sauce sur OKLM radio, du NoFun show et d’une émission sur l’Equipe, qui a été choisi. Et force est de constater que le présentateur, habitué de la tâche, permet au programme d’être efficace. Le deuxième épisode vient de sortir, et il oppose Koba LaD à Alonzo, quand le pilote mettait face à face Jok’Air et Chilla.
Les clips de la semaine
Après le succès unanime de leur album Blo, 13 Block, le meilleur groupe de rap actuel, a sorti le clip de Petit Cœur.
Jok’Air, le plus séducteur des rappeurs français, reste sur ses terres avec le sensuel (qui est décidément le mot de la semaine) morceau Bonbon à la Menthe, plébiscité par ses fans et surmonté d’une grosse ligne de basse. Le clip est cependant plus vulgaire que le son…
Orelsan n’en finit pas d’innover dans ses vidéos. Le Caennais se transporte cette fois dans l’univers des soap-operas bollywoodiens pour le clip de Dis-Moi, essayant tant bien que mal de justifier son infidélité.
C’est la petite surprise de la semaine. Le jeune suisse Di-Meh, qui vient de sortir Fake Love, son dernier EP avant l’album studio, a aussi balancé le clip de Big Foot, un morceau énervé en compagnie de Daejmiy.
Pour tous les fans de jeux de combat, Kalash Criminel vient de sortir le clip de Fatality, avec plusieurs références à la célèbre franchise Mortal Kombat. L’énergie du Sevranais est toujours au top et les rires de Marcel Dessailly au refrain donnent franchement le sourire.
Allez, on enlève les baskets, on remet ses boots et son cuir, et à la semaine prochaine dans le bendo !
Salade Tomates Oignons, la playlist rap français de Mowno, est à retrouver ici
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