06 Jan 25 Trans Musicales de Rennes 2024, on y était !
Chaque année, c’est la même chose : une fois pris connaissance de la programmation des Transmusicales et de son nombre incalculable d’artistes se produisant en différents lieux, parfois au même moment, vient le moment angoissant du choix, c’est-à-dire du renoncement. On s’immerge donc dans cette fantastique sono mondiale que sont les Trans après avoir élaboré, plus ou moins arbitrairement, son propre programme, et l’on s’en extrait en partie conforté dans ses choix, en partie frustré par ce que l’on a manqué. A peine descendu du train, on se précipite donc à l’Ubu, déjà bondé à 16h30, pour assister à la prestation de Maestro Espada, un duo espagnol formé par Alejandro et Victor Hernández. Les deux frères joueront avec élégance les titres de leur premier album éponyme, enveloppant d’électronique – mais de façon parcimonieuse et toujours à propos – les traditions musicales de leur région d’origine de Murcie, permettant ce faisant de créer un équivalent sonore aux étendues désertiques du sud de l’Espagne, tout en laissant régulièrement s’épanouir ce sens de la transcendance magnifiquement exprimé par la combinaison harmonieuse de leurs voix. Murciana ou Mayos, particulièrement, envoûteront rapidement un public attentif et curieux. Dans la foulée, on sacrifie à regret le concert de Quinquis, pour se diriger vers Le Liberté, où le trio rennais Megadisq y présente une pop très nineties, légèrement shoegaze par endroits, toujours sincère dans ses intentions. Miki et son hyperpop rameutera un plus large public, plus jeune également, mais l’on s’avouera – humblement – dépassé par le genre proposé. Ce qui permettra de se jeter sans états d’âme dans la navette pour rejoindre le parc expo, et remarquer dès l’arrivée que les portugais de Travo, bien énervés et souffrant sans doute de jouer en début de soirée, peinent à se démarquer de Slift, apparemment leur principale influence. Un peu plus tard dans la soirée, dans ce même hall 4 qui accueillera pendant tout le festival les groupes les plus rock de la programmation, on sera en revanche stupéfaits de la profonde singularité des suédois de Den Der Hale (photo ci-dessous).
Arrivé au milieu de leur premier morceau, on les découvre déjà comme possédés par Dieu sait quelle folie païenne, le guitariste et le bassiste tournoyant, extatiques, autour de leur frêle chanteuse-claviériste dévorée par un feu indubitablement sacré. Leur musique s’étire, tortueuse et vénéneuse, d’abord d’une lenteur étouffante, puis distillant progressivement ses vapeurs toxiques pour finir par s’embraser, produisant alors une transe fiévreuse et inquiète. C’est peu de dire que l’on a affaire à un groupe totalement habité, délivrant quelque chose s’apparentant à du post-rock ou du post-psych, à la sensualité profondément trouble, aux ambiances brumeuses déchirées sporadiquement par une lumière crue. Comme si l’apocalypse était mis en musique, déstructurant les contours rassurant du monde connu jusqu’alors, ce à quoi The Horse From Turin, le premier single du deuxième album du groupe, Pastoral Light, sorti début 2024, fait inévitablement penser, en évoquant à coup d’assauts électriques inquiétants les images de fin du monde du film éponyme de Bela Tarr. Impossible d’oublier une telle immersion au coeur de ce mélange bouleversant d’antique sauvagerie et de spiritualité d’un nouvel âge. Toutefois, le premier concert en France des londoniens de Dog Race (photo ci-dessous) réussira à nous ramener sur terre avec son post punk totalement original, rehaussé par deux tubes imparables, The Leader / It’s the Squeeze, et mené par une chanteuse atypique, dont les particularités vocales (on n’est pas très loin des Sparks, mais en roue libre) sont pour beaucoup dans l’attraction exercée par le groupe. On croisera par hasard ce dernier le lendemain après-midi, s’enquillant en toute décontraction des pintes de Guinness dans un pub local, occasion de le féliciter pour son étonnante mais convaincante prestation de la veille.
Le vendredi commence plutôt bien, dans une salle de l’Ubu toujours archi bondée, avec l’intrigante Daniela Pes. Seule sur scène, la musicienne Sarde plonge elle-aussi dans les traditions de son lieu natal pour créer d’étranges atmosphères transfigurées par sa céleste voix. Au Liberté, c’est Rahman Mammadli, un guitariste azerbaïdjanais de 64 ans, qui électrifie la musique Azérie, en lui donnant des atours psychédéliques peu communs. Mais on laisse momentanément de côté les Trans, en début de soirée, pour s’intéresser aux Bars en Trans, présentant comme chaque année une affiche de malade (Alber Jupiter, Foncedalle, Fragile, Meltheads, Eat Girls…), alignant malheureusement les groupes aux mêmes horaires dans des bars différents, confrontant l’amateur, là aussi, à des choix cornéliens. Ainsi, on décidera la mort dans l’âme de zapper le concert de Schøøl au Melody Maker, le nouveau projet de Francis Mallari de Rendez-Vous, pour assister à celui d’Avee Mana au Penny Lane. Le groupe marseillais livrera dans un bar bouillant et plein à craquer un set magistral, à la fois brillamment pop, furieusement rock’n’roll et mélancoliquement psyché. On s’engouffre ensuite dans la navette pour le parc expo, où l’on aura d’excellents retours des concerts passés de The Family Battenberg et de Def Mama Def, avant d’assister à celui de Us, des Finlandais survoltés pratiquant un rythm and blues très sixties et très bien exécuté. Rien de nouveau, mais une intensité et sincérité assez bluffantes. Mais ce sont les irlandais de Yard (photo ci-dessous) que l’on attend en fait de pied ferme, et l’on n’est pas déçu : le trio livre à deux heures du matin une leçon d’électro punk pleine de rage, de rythmiques surpuissantes, de vocaux hurlés à pleins poumons et de guitare saturée, qui confirment, une fois de plus, la radicalité de la scène indé du pays du trèfle. Une impressionnante déflagration, en même temps qu’une vraie révélation.
Le lendemain, samedi, le vent souffle fort à Rennes, mais c’est la tempête post-punk Basic Partner en début de soirée au Liberté, que l’on guette. Les Nantais/Rennais y proposeront de larges extraits d’un album à venir, et le moins que l’on puisse dire, au vu de ce que l’on a pu entendre, c’est que le bond qualitatif opéré entre ce dernier et leur premier EP est juste impressionnant. Fédérateur dans les mélodies, monstrueux dans la dynamique de ses morceaux, ample et généreux dans le propos, Basic Partner s’est révélé ce soir là comme le groupe français à surveiller de très près en 2025. Au parc expo, par la suite, les heureuses découvertes vont s’enchaîner : de la pop faussement superficielle, à la fois mesurée et inventive, de Friedberg aux expérimentations électronico-mystiques de Howie Lee, en faisant un détour du côté de la country pop pleine d’humour et formidablement bien exécutée du sextuor Gallois Melin Melyn ou de la synthwave gorgée d’Italo-disco de Charlie… on se prête avec enthousiasme aux grands écarts stylistiques et culturels.
Mais s’il est bien une évidence en ce dernier jour de festival, c’est la qualité hors norme de la performance de Yannis and the Yaw (photo ci-dessus). Le chanteur de Foals, accompagné de musiciens tous plus incroyables les uns que les autres, vont délivrer une heure durant, dans un hall 8 plein à craquer, un mélange irrésistible d’afro-beat et de rock, rallongeant les titres de l’EP Lagos, Paris, London pour en exploiter au maximum le groove syncopé. Dans la fosse aux photographes où l’on s’est réfugié, on se regarde tous, éberlués, comme pour chercher dans le regard des autres de quoi confirmer que ce qui est en train de se passer sur scène est bien réel. Le talent, à un certain niveau, semble relever tout bonnement de la magie. On se demande bien que faire après avoir vécu un tel moment, et l’on chemine sans grande conviction vers le hall 4, où Benefits matraque l’assistance à coup de beats electro et de hurlements déments. Ce que l’on voit est si extrême dans l’engagement physique et intellectuel, le degré de frustration et de colère est si élevé, que l’on reste interdit et finalement fasciné par cette version jusqu’au-boutiste de Sleaford Mods, qui en a toutefois dérouté certain.e.s (si on en croit les commentaires entendus dans la navette du retour). Ce dernier concert auquel on a pu assister révèle parfaitement la singularité d’un festival comme les Transmusicales, qui parvient à conduire chaque année un très large public à prendre du plaisir avec ce qu’il peut avoir tendance à ignorer au quotidien : la diversité culturelle dans ce qu’elle a de plus riche. C’est à nouveau la preuve qu’un événement culturel peut être une véritable réussite tout en assumant la prise de risque que constitue une programmation exigeante, ouverte d’esprit, et constituée majoritairement d’artistes inconnus du plus grand nombre.
Photos : Stéphane Perraux
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