La Route du Rock 2024, on vous raconte…

La Route du Rock 2024, on vous raconte…

Les années se suivent mais ne se ressemblent pas à La Route du Rock. L’exigence de la programmation fait que, à chaque fois, le miracle opère et qu’on a l’impression de vivre notre première fois. Pas de lassitude avec le festival malouin, et si routines il y a (la mise en bouche, le mercredi, à la Nouvelle-Vague, les rendez-vous pour les concerts de la plage, la fête au fort de Saint Père, l’expo à la tour Bidouane et la conférence de Christophe Brault), on s’y livre avec un tel enthousiasme que l’impression de répétition n’affleure jamais à la conscience. La particularité de l’édition 2024, c’était très probablement l’organisation à deux vitesses des soirées : un début de soirée assez calme, globalement, laissant la place à des prestations débridées aux alentours de 23H.

La soirée d’ouverture vit ainsi ML Buch et Ghostwoman, dans des styles toutefois très différents, étirer leurs musiques pour mieux la vivre intérieurement, dans une forme d’abstraction déstabilisante pour la première, ou dans des volutes électriques hypnotisantes pour les seconds, avant que Chalk (photo ci-dessous), le trio de Belfast, ne délivre à l’opposé un set composé de déflagrations technoïdes entrecoupées de moments de sublimes contemplations, avec un sens de la dramaturgie absolument bluffant pour un groupe n’ayant à son actif que deux EPs et qui, depuis un an maintenant, impose la loi d’airain de son talent un peu partout en Europe. On voit mal, dans ces conditions, comment les irlandais pourraient rater le coche d’une future consécration internationale.

Le jeudi, après l’urgence post-punk d’Enola, qui assuma parfaitement son statut de révélation du festival, Kae Tempest bouleversa le public avec sa fragilité combative (et on ne cesse depuis de réfléchir à la possibilité d’un tel oxymore) et qui, en exposant avec une telle sincérité son désir d’aimer et de recevoir de l’amour, fit pleurer les plus endurcis. Comment peut-on être aussi transparent dans l’expression de ses sentiments et ne pas tomber dans le racolage ? C’est le profond mystère de l’anglais.e qui, avec son sourire désarmant, concrétisa cette affirmation de Lao Tseu selon laquelle le sage doit être comme l’enfant le plus vulnérable au monde pour que, dans cette extrême faiblesse, il suscite le désir irrépressible de le protéger. Kae Tempest, en ce sens, nous aura merveilleusement montré de quelle manière assumer sa faiblesse peut se transformer en force irrésistible. Nation Of langage, par la suite, fit danser agréablement les festivaliers avant que Slowdive n’impose avec une certaine majesté dénuée de toute ostentation le mur du son impressionnant de leur éternelle mélancolie. Mais le rock, lui, fut incarné une fois encore par Jamie Hince et Alison Mooshart : The Kills (photo ci-dessous), qui dès leur entrée en scène, irradièrent d’une sauvagerie stylisée à nulle autre pareille, convaincants dans l’interprétation des morceaux de bravoure de leur excellent dernier album God Games, même si l’ensemble de la setlist manqua un peu de fougue, privilégiant la dimension la plus pop de leur répertoire, en négligeant au passage les deux premiers albums (il a juste fallu se contenter de Kissy Kissy). Après cela, BackxWash impressionna la foule avec son horrorcore sans concession, tandis que Soulwax, aidé par trois batteurs et une scénographie impressionnante, acheva de transformer le fort de Saint Père en dancefloor survolté.

Le lendemain, on ne fut pas à la fête avec un déluge imprévu, transformant le site du festival en lieu de désolation. Sous des averses désespérantes et au milieu des flaques boueuses, on essayait tant bien que mal de s’intéresser au post punk de Deeper et au rock flexueux de Bar Italia, les seconds ayant eu la mauvaise idée de se poser au fond d’une scène déjà très haute, laissant la chanteuse, Nina Cristante, occuper ses devants pour essayer – difficilement – de créer un lien avec un public affrontant les éléments (‘Vous êtes mouillés ? Ce n’est pas un problème, c’est bien.‘ dira-t-elle de façon quelque peu gênante). Leur prestation, toutefois, intrigua et réussit à séduire par sa capacité à générer un étrange chaos, assez fascinant, au coeur de leurs morceaux. Par la suite, les fans de Blonde Redhead furent récompensés de leur attente par l’arrêt de la pluie mais, surtout, par cette pop captivante, toujours sur le fil de l’émotion, jouée par une formation n’ayant rien perdu de ses exigences. Etienne Daho, lui, réjouit son public (venu pour lui, quasi exclusivement), laissant les autres indifférents, voire franchement sceptiques. Les tubes furent alignés, impeccablement et généreusement interprétés, dans une orchestration lorgnant toutefois un peu trop vers la variété. L’électro hip hop de Debbie Friday assura par la suite une transition vers le retour du rock et de ce qui fut pour beaucoup le concert marquant de la soirée, si ce n’est du festival : celui des canadiens de Metz (photo ci-dessous). Comme toujours avec le trio, toutes les forces furent tendues à leur maximum : la rythmique imposa sans faiblir sa cadence démentielle, la guitare et la voix d’Alex Hedkins étaient poussées jusqu’à leurs limites, évoluant en continu dans des stridences incendiaires et franchement libératrices. Après avoir attendu plusieurs heures un tel moment, l’effet fut juste monstrueux, et il ne restait aux trublions de Fat Dog qu’à prolonger la transe en assénant leur mélange improbable mais ultra-efficace de rock, de dance et de musique tzigane.

Le soleil revint le dernier jour pour profiter de la très belle et singulière prestation de Clarrissa Connely – compensant la défection de Beach Fossils –, de celle, émouvante, de Timber Timbre (lequel, en duo, bénéficia d’une écoute remarquablement attentive et concentrée de la part du public), et de celle, tout en élégante maîtrise pop, d’Astral Bakers. La soirée se poursuivait en se laissant aller au rêve doré de Air, la tête dans les étoiles. Moon Safari fut interprété dans son intégralité, à l’intérieur d’un grand rectangle blanc sur les parois duquel étaient projettés des effets visuels éblouissants. L’ensemble, composant une vision du futur sur la base de nos imaginations d’enfants, laissait parler son charme et, à la fin de la seconde partir du set, bouleversa avec une version intensément sombre d’Electronic Performers. Vers 23h30, sonnait une nouvelle fois l’heure d’un rush soudain d’adrénaline avec les arrivées sur scène de groupes aux aspérités très marquées : Protomartyr, avec la rage du désespoir et avec un Joe Casey très remonté, haranguant le public en bordure de scène, confirma sa nouvelle ampleur, gagnée grâce à son formidable dernier album, Formal Growth In The Desert ; Meatbodies, en formule trio, raviva les pogos – enfin ! diront certains – avec un sens du groove monumental, au service d’un déluge électrique dont les élans psyché sont toujours ramenés sur terre par une lourde énergie proto-grunge. Après une chenille politisée à certains endroits (on y entendit des appels à la démission d’une personnalité de haut rang ou une incitation à ’emmerder’ un certain parti), on monta encore d’un cran dans la sauvagerie avec le duo électro-punk Dame Area qui, bien que confronté à des problèmes techniques, montra sa capacité à conjuguer rythmes tribaux élaborés et sonorités indus intrigantes. L’after de Jessica Winter contenta les derniers fêtards et conclut une Route du Rock aux choix risqués mais finalement enthousiasmants d’un point de vue esthétique, et payants en terme de fréquentation.

Photos : Titouan Massé, Non2Non

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