09 Sep 24 Guinguette Sonore 2024, on vous raconte…
Alors que les nuages qui annoncent l’automne s’amoncellent et qu’un épisode méditerranéen s’abat sur la région en ce début septembre, le festival La Guinguette Sonore a pu dérouler sa septième édition du 30 au 31 août, les pieds dans l’eau et la tête au soleil, comme un pied de nez à la rentrée. Un dernier week-end estival placé sous le signe du plaisir si l’on en croit les sourires radieux qui illuminaient les visages des festivaliers à l’heure de quitter la plage, comme ceux des groupes au moment de finir leur set.
La réussite de l’événement tient évidemment à autre chose qu’à la météo, cette roulette russe dont on ne connaît l’issue qu’au moment d’appuyer sur la gâchette. A l’heure où les plus grands festivals tirent la langue ou sont contraints de tirer le rideau, il faut aussi une sérieuse dose d’inconscience pour poursuivre l’aventure. Peut-être est-ce même du masochisme que de renouveler chaque année à cette période sur les rivages de la Romaniquette qui borde l’étang de Berre (non, ce n’est pas la mer !) un festival de rock indé à taille humaine, à la programmation ambitieuse et toujours surprenante, dans une ambiance (re)posée. Le pari est osé, mais après tout, la chance sourit toujours aux audacieux, un doux euphémisme pour qualifier les organisateurs.
La seule chance n’explique donc pas le sans-faute du cocktail savouré pendant ces deux jours de fin d’été. Les ingrédients sont connus – lieu, ambiance, organisation, programmation musicale -, mais leur subtil dosage relève d’une recette jalousement gardée par une équipe de passionnés et que résume parfaitement le slogan du festival. La Guinguette Sonore est en effet placée sous le signe de la ‘bière, du poulpe (que l’on ne retrouve pas dans l’étang et dont on se demande encore pourquoi il a été choisi) et du rock’n’roll’, ce qui pose d’emblée l’esprit bon enfant et déconneur d’un festival qui ne se prend pas la tête, sans pour autant faire l’impasse sur le sérieux et l’exigence d’un événement qui attire entre 500 et 700 fidèles par soir. Il est d’ailleurs frappant de constater qu’à l’ouverture des portes, une armée de bénévoles s’agite en tous sens. Reconnaissables à leur t-shirt dédié à l’édition de l’année (jaune pour cette 7ème), ils sont la cheville ouvrière d’un festival dont le professionnalisme est un ingrédient reconnu et apprécié. À voir l’efficacité des changements de plateau, la qualité du son et de la lumière ou la bonne humeur affichée sur les stands, on mesure effectivement que bénévolat ne signifie pas amateurisme.
Autre facteur de succès, ce bord de plage donne l’impression d’être au bout du monde et hors du temps, alors que se toisent festivaliers et plagistes sur le retour, à l’occasion d’un chassé-croisé détonnant. L’espace réservé pour le festival regroupe des stands de restauration et boisson locales, merchandising, maquillage et jeux pour les enfants, que l’on croise nombreux, mais également photobooth pour les souvenirs ou borne de jeu Guitar Hero pour s’essayer aux solos entre deux groupes, quitte à gratter le ‘Toy Boy’ que vient de dérouler Stuck in the Sound (photo ci-dessus) il y a quelques instants. Au bord de l’eau, tables et transat permettent de se restaurer en profitant d’un coucher de soleil digne d’une carte postale… ou de se reposer un peu plus tard après les immanquables pogos qui agiteront les deux soirées. Cette année encore l’exposition ‘Eclipse de l’une’, qui met en lumière les femmes dans le milieu artistique et notamment rock, y a posé ses valises, complétant le tour d’horizon d’un environnement où tout est pensé pour chiller et profiter.
Mais le farniente ne serait rien sans la musique, l’ingrédient principal de la boisson proposée ce week-end. Chaque année, les noms les plus ‘côtés’ croisent des groupes locaux et des pépites que l’équipe aime faire découvrir à un public avide de nouveautés. Le dosage est risqué et le mélange subtil, au point que la programmation est au cœur des enjeux d’un festival, engageant la plupart du temps sa réputation et sa pérennité. Il y a souvent des confirmations, toujours de bonnes surprises et parfois quelques désillusions, comme cette tête d’affiche qui déçoit ou ces espoirs qui craquent sous le poids de l’enjeu. Des écueils que l’équipe de la Guinguette Sonore met tout en œuvre pour éviter et qui lui permet de jouir d’un bouche-à-oreille de plus en plus favorable, y compris chez les artistes, au point que certains groupes soient désormais en approche pour être programmés !
Cette année encore le sans-faute n’est pas loin, avec une sélection et des ordres de passage cohérents et efficaces. En plus d’être le seul ‘local de l’étape’ ce vendredi, Brother Junior a la lourde tâche de lancer le festival et d’attaquer la première soirée. Un double handicap qui ne démotive pas le trio qui va dérouler son pop rock parfait pour démarrer en douceur un week-end de musique. Le chanteur que l’on a découvert avec les Stranglers, dont ils assuraient la première partie sur leur tournée française, donne l’impression d’être blasé. Une attitude ‘second degré’ déroutante pour qui ne connaît pas l’humour pince-sans-rire du patron du label marseillais Hey Bronco, et qui a sans doute un peu handicapé une prestation pourtant réussie et appréciée du public qui commence à garnir le festival. Malgré la chaleur – le chanteur déplore un pantalon en laine porté depuis Paris – et des kilomètres qui font peser de la fatigue, PURRS (photo ci-dessus) affiche une belle énergie. La morgue insolente du groupe et un set post-rock très énervé font basculer la soirée dans une autre dimension. Les angevins ont un pied en Angleterre et ça s’entend, même si à la différence des ‘grands frère’ Idles ou autres Fontaines D.C., il manque encore ce morceau qui sorte du lot pour les faire décoller. La tension retombe et la soirée se calme un peu avec l’arrivée des 4 argentines de Fin Del Mundo. Une vraie découverte pour un groupe qui n’est pas sans rappeler des ambiances à la Mazzy Star, que des fulgurances rock viendraient exciter par moment. Meule, qui avait fait forte impression lors de la dernière édition du Pointu Festival et à l’occasion d’une date dans la salle aixoise du 6Mic, est incontestablement la tête d’affiche du soir. Le changement de plateau est relativement rapide malgré une mise en place compliquée de machines et d’un thérémine ainsi que d’une double batterie dont la grosse caisse est partagée entre les deux batteurs du groupe. Le résultat est à la hauteur et le trio ne tarde pas à installer une transe digne de ce que pouvait faire Can à une autre époque. Le public, extatique, manifeste bruyamment son contentement mais n’obtient pas le rappel réclamé à corps et à cris. Un respect des heures de passage à mettre à l’honneur du groupe et qui permet à Wheobe d’assurer la toujours délicate clôture de soirée. Mal aura pris aux quelques spectateurs partis avant la fin tant la prestation des jurassiens est intense et habitée. Les fulgurances du chanteur et les riffs de guitare déchaînés emmènent le public vers des contrées sonores qui ne sont pas sans rappeler Radiohead ou Black Midi. Une conclusion parfaite pour ce premier jour.
Il fait encore jour lorsque Technopolice déboule sur scène, faisant démarrer la programmation du samedi sur les chapeaux de roue. Le groupe a une présence scénique incroyable et des morceaux punk/rock qui accrochent immanquablement. Tout en donnant l’impression de se foutre de tout, ils déroulent un set carré qui emballe les spectateurs. Leur désormais traditionnel ‘Wall of Love’ entraîne le premier pogo de la journée. Léo Jousselin achève le dernier morceau avant d’inviter tout le monde à se jeter à l’eau. Même si personne ne le suit, alliant le geste à la parole, il saute de scène et pique un sprint jusqu’à la plage (photo ci-dessus). La soirée va être longue et la barre est déjà placée très haut. Le quatuor bordelais de Moloch/Monolyth (photo ci-dessous) relève pourtant le défi avec classe dans une ambiance qui lorgne vers un rock plus classique mais pas moins efficace, convoquant parfois le fantôme d’Arcade Fire, ce qui ne laisse pas le public indifférent. Dès la fin de leur set, le temps est mis sur pause. Stuck in the Sound peaufine le soundcheck pour ne rien laisser au hasard. La foule, plus compacte qu’hier, s’impatiente. Les lumières s’éteignent et les Parisiens montent à l’assaut, prêts à relever le défi. Ils se savent attendus. Si le virage pris par le dernier album a pu laisser sur sa faim l’auditeur rock radical, force est de constater que le groupe est une vraie machine de scène. Le chanteur, en bon entertainer, va mener le set de main de maître. Le son est énorme et booste les morceaux les plus faibles jusqu’à jouer ce tube, un Toy Boy qui met le public en transe. La sauce ne redescend pas avec la prestation de Sun, sans doute pas émue de devoir assurer la suite puisque le groupe était en première partie de Shaka Ponk sur plusieurs Zéniths. La chanteuse en plateform boots et voiles habilement placés dans le vent d’un ventilateur pour le plus grand bonheur des photographes, explique avoir inventé la ‘brutal pop’. Elle ne ment pas et, une fois passé l’effet de surprise, le résultat est surprenant. Alternant une pop légère et un métal démentiel, sa voix oscille entre Abba et Gojira ! Un mix improbable et un peu difficile sur la longueur…
Une fois encore le changement d’ambiance est radical. La Guinguette Sonore clôture cette septième édition avec, à nouveau, une formation marseillaise. Si Catchy Péril (photo ci-dessous) est récemment arrivé sur la scène foisonnante de la cité phocéenne, la plupart de ses membres ont fait leurs armes dans différents groupes croisés depuis quelques années. Auréolé d’une réputation flatteuse et grandissante, le quatuor ne va pas décevoir. C’est même le coup de cœur du week-end. Un chanteur qui joue comme si sa vie en dépendait, un batteur et un bassiste qui tiennent la section rythmique avec groove et une claviériste complice feraient presque passer la petite bande pour les nouveaux Eli et Jacno. Leur ambiance pop/rock décalée aligne les pépites, des tubes en puissance. C’est indéniablement un groupe à suivre même s’il faut d’ores et déjà avouer que l’EP annoncé pour début novembre est une tuerie. Sous les yeux d’une foule conquise, la Guinguette Sonore 2024 s’achève avec la montée sur scène des bénévoles, appelés par le chanteur à le rejoindre dans un joyeux bordel, pour un final qui illustre la connexion privilégiée que le festival entretient avec un public et des groupes désormais marqués du sceau de la grande famille ‘bière, poulpe et rock’n’roll’.
Texte et photos : Laurent Bruguerolle
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