Black Bass Festival 2024, un grand cru pour la dernière cuvée

Black Bass Festival 2024, un grand cru pour la dernière cuvée

L’ultime édition du Black Bass Festival, rendez-vous incontournable des amateurs de rock abrasif, se tenait à Braud-et-Saint-Louis, près de Bordeaux, du 22 au 24 août dernier. Pour ses onze ans, les programmateurs avait fait le choix de convier essentiellement des groupes déjà venus. Et regarder dans le rétroviseur fut aussi l’occasion de faire le point sur le chemin parcouru par la majorité des artistes depuis leur dernier passage en terres marécageuses.

VENDREDI 23 AOÛT 2024
Oiseaux exotiques, lumière dans l’obscurité et ascension vers les cieux

Après avoir fait l’impasse sur la soirée d’ouverture qui a vu Équipe de Foot, Capsula, Clavicule et Inspector Cluzo se relayer, nous franchissons les portes de l’enceinte du site le cœur léger et les oreilles prêtes à bourdonner devant le déluge sonore annoncé. Le duo Blackbird Hill prend le pas du DJ set de l’équipe du Laryrock (un autre festival emblématique de la région) pour lancer les hostilités scéniques. Le duo bordelais offre une mise en bouche stoner efficace et bienvenue, maîtrisée à souhait sous le soleil girondin. Un concert pendant lequel le groupe annoncera aussi la fin de son aventure, du moins dans sa formation actuelle, le chanteur et guitariste Maxime Conan déclarant d’ores-et-déjà travailler sur la suite.

A peine le temps de digérer la nouvelle que les tendres et délicats We Hate You Please Die débarquent sur la scène opposée, déterminés à délivrer leur dose d’amour électrique. Power trio chargé d’adrénaline servi par la voix et la basse puissante de Chloé Barabé, la guitare de Joseph Levasseur et la frappe métronomique de Mathilde Rivet, le groupe ne laisse aucun répit à l’auditoire en enchaînant ses titres galvanisant aux tempos effrénés. Les rouennais montrent pendant près d’une heure tout leur savoir faire en combinant art du micro-riff, section rythmique imparable et chant incandescent. Un univers foudroyant – entre riot grrrl, punk et garage – qui nous rend encore plus impatient d’entendre leur troisième effort studio, Chamber Songs, à paraître le 20 septembre chez Incisive Records.

La Jungle, qu’on ne présente plus, prend ensuite le relais pour un set aussi intense qu’épuisant – dans le bon sens du terme. Bondissant, débordant d’énergie et enchaînant les trouvailles géniales à coups de rythmiques tribales et de boucles hypnotiques, le duo ouvre la voie à la partie made in Belgium de la programmation, que l’on sait aussi riche que captivante. ‘Merci aux techniciens, aux organisateurs, aux bénévoles, aux gens qui boivent, qui se droguent…‘ lâche le frontman devant un public conquis et composé de plusieurs générations, des jeunes adolescents aux sexagénaires rompus à l’exercice du démolissage auditif en règle. Les pogos vont bon train, les bières aussi, et les t-shirts et tatouages arborés par une bonne partie de l’auditoire nous prouvent que ce n’est pas un hasard si le festival, réputé et reconnu pour sa programmation exemplaire et son ambiance détendue, affiche encore complet cette année.

Changement de registre pour une introspection aussi terrassante que magistrale du côté de Year Of No Light, de retour sur ses terres après plusieurs années d’absence – son dernier passage dans le Bordelais remontant déjà à 2017. Vingt-trois ans après sa fondation, le groupe post-metal subjugue toujours par sa capacité à générer des matières obscures d’une rare puissance, magma céleste comme venu d’un autre monde se mouvant dans l’air, du souffle des amplis jusqu’aux oreilles des fidèles, communiants emportés par la beauté du spectacle de ce domptage des lois du chaos par ces longues plages instrumentales et cathartiques. Et lorsque Jérôme Alban, guitariste, prend la parole pour rendre hommage à l’un des membres absent sur cette série de concerts car luttant contre la maladie, le set amorce une tournure encore plus brûlante, grave et solennelle, comme une prière profane qui n’aurait de limite que l’obscurité du silence.

Après ce voyage dont il sera bien difficile de redescendre, l’enchaînement idéal se produit pourtant avec Slift, qui n’a pas l’intention de faire baisser la température d’un seul degré. Depuis sa signature remarquée chez Sub Pop l’an passé, le trio toulousain semble innarrêtable. Psychédélique, épique et survolté, le show est total, musicalement comme visuellement. Ne choisissant pas toujours la facilité en pariant également sur des transitions aventureuses par le biais notamment de l’utilisation d’un synthétiseur modulaire, la qualité de l’expérience ne faiblit pas un instant, tenant en haleine un public venu particulièrement nombreux pour l’occasion. Rock progressif sans son décorum embarrassant, le groupe multiplie les références aux heures les plus survoltées des 70’s sans renier pour autant une certaine modernité dans ses textures, structures, arrangements et choix de production. Et prouve, mieux que personne, que la wah-wah peut encore s’avérer pertinente et fort utile dans un pedalboard. Un labyrinthe mental et sonore qui clôture en beauté cette soirée plus proche du cosmos que jamais, nous laissant prêts à affronter une nuit la tête tournée vers les étoiles dans le camping du festival qui ne semble, lui non plus, pas connaître le repos pendant que les bénévoles se lancent dans leur propre BBF Party.

SAMEDI 24 AOÛT 2024
Performances habitées, vol plan(t)é et crépuscule des dieux

Après une bien courte nuit et une journée agrémentée de belles balades dans les environs, retour au bercail pour la dernière ligne droite qui débute par le traditionnel concours de air guitar. Dix concurrents s’affrontent autour de figures libres ou imposées, la palme (ou plutôt la tête de loutre, trophée forgé par un artisan local) du meilleur brasseur d’air revenant à un très sérieux candidat. En kilt et haut de forme, il dévoilera au moment de sa consécration sa fesse droite tatouée pour l’occasion, laissant apparaître les deux quenouilles croisées, emblèmes de l’asso des Créatures du Marais qui se cache derrière le festival. Reprise ensuite des présentations par le maître de cérémonie, organisateur à la gouaille légendaire qui nous promet de prendre encore ‘branlées sur branlées’.

The Guru Guru foule alors les planches de la première scène pour une performance haute en couleurs, théâtralisée et galvanisante. En pyjama, le leader alpague la foule et fait des siennes, entre humour belge et vraie folie dadaïste. L’énergie est là et le troisième effort du groupe (Make (Less) Babies, publié l’automne dernier) est défendu avec brio, à tel point que l’on se dit que la Belgique semble peut-être avoir trouvé ses Sparks. Seul petit regret : cette auto-tune prise de tête sur la voix du chanteur, véritable choix esthétique mais qui couvre pour le coup les envolées du groupe d’une patine rock FM dont on se serait bien passé. A mi-parcours, le guitariste propose au public de se séparer en deux pour créer un wall of… love. Soit un wall of death où la rencontre ne se fait pas dans les coups et la fureur mais tout en câlins et en bisous. Mignon.

Quatuor devenu trio avec la sortie de son quatrième album (Mouche, numéro 1 du classement Mowno des meilleurs disques de 2023), It It Anita terrasse tout sur son passage. Les pogos et les slams ne s’arrêtent plus, et même des titres plus insidieux comme Don’t Bend (My Friend) ou Ode To William Blake se révèlent, sur scène, être de véritables bombes à retardement. Sous son noise concentré se cachent d’ailleurs souvent des percées inattendues vers d’autres territoires comme sur Psychorigid, dans lequel on jurerait entendre les Beastie Boys. Pas facile, après ce set généreux et cataclysmique, de passer à la suite. On préférera donc écouter le stoner des grecs de 1000mods de plus loin. Ayant fait le voyage par avion, le groupe a eu la mauvaise surprise d’apprendre, en arrivant avec simplement ses pedalboard sous les bras, que le reste de son matériel était resté bloqué à l’aéroport. Un souci rapidement réglé par l’organisation qui a pu trouver grâce à son carnet d’adresses tout le matériel nécessaire pour le bon déroulé du concert. Sauvé.

Après avoir chiné quelques disques chez Fred (le disquaire de Super Love Disc, présent sur place pour l’occasion), les festivaliers ont le choix entre deux concerts ou jeux de sociétés pour petits et (très) grands enfants, flash tattoo et d’autres attractions plus douteuses. On boit beaucoup, on dort peu, mais on ne peut pas dire que l’humour un poil franchouillard qui caractérise le festival soit un frein à sa qualité, chacun et chacune évoluant dans une zone de bienveillance et de respect qui garantie le bien-être de tous et toutes.

L’avant dernier acte sera signé lui par Johnny Mafia, les gangsters sénonais offrant à leur public une bonne dose de punk sous des apparats parfaitement idiots et donc jouissifs. On se surprend même à y entendre un soupçon de britpop, quelque part entre Blur et Oasis. 2024 : Année du Dragon, leur dernier disque défendu sur scène, prouve qu’ils occupent désormais une place forte dans la scène alternative française, le tout en se gardant bien évidemment de se prendre au sérieux. Vivifiant et efficace. En clôture, ce sont les vétérans de Mars Red Sky qui ont la charge de refermer définitivement ce chapitre de l’histoire du Blayais. Hélas, l’événement annoncé frôle par moments la catastrophe intersidérale, la faute à un son plutôt approximatif avec une guitare sur-mixée aux effets peu soignés et surtout à une performance vocale qui laisse grandement à désirer. Même la présence d’Helen Fergusson, talentueuse chanteuse de Queen Of The Meadow venue à la rescousse à mi-parcours, n’y changera rien. Dépités, nous partirons avant le grand final qui aura lui visiblement réussi à rattraper le coup en réunissant, sur scène, une dizaine d’artistes issus de divers formations, présentes ou non lors de cette édition, avant que DJ Moule raccompagne avec un de ses mix tout en dérision les derniers festivalier.e.s vers la sortie. Définitive cette fois-ci.


1 Commentaire
  • Anthony
    Posté à 16:26h, 06 septembre Répondre

    Le trophée du air guitare n’est pas une loutre mais un ragondin !!! Emblématique mascotte de nos marais et de l’affiche anthony@blackbassfestival.com 2024.
    Quand ont passé trop de temps en ville on oublie les bases de la natures environnantes 🤣

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