Rock en Seine 2022, les tops et flops

Rock en Seine 2022, les tops et flops

En 2019, on avait quitté Rock en Seine et son affiche plutôt fade, sans savoir qu’on ne reverrait pas de si tôt le vert du Domaine de Saint Cloud. Le festival enregistrait alors une des affluences les plus faibles de la dernière décennie, et on s’interrogeait sur son incapacité à regrouper des artistes plus attractifs après qu’il ait été racheté par l’homme d’affaires Matthieu Pigasse et AEG, tous deux pourtant synonymes de moyens décuplés. Il y a quelques mois, l’organisation avait beau promettre une édition 2022 exceptionnelle, il faut avouer qu’on ne rêvait plus. A vrai dire, on ne s’attendait plus à grand chose de la part de notre historique rendez-vous de rentrée des classes, semble t-il plus enclin à satisfaire un public facile qu’un autre plus rock, plus pointu et exigeant. Les bougres disaient pourtant vrai : dès l’annonce de ses premiers noms, ce Rock en Seine 2022 s’est immédiatement fait une place de choix dans nos agendas de fin d’été.

Et pour cause, en alignant des noms aussi alléchants que Nick Cave & The Bad Seeds, Tame Impala (photo ci-dessous), Kraftwerk, Idles, Fontaines DC, Yard Act et Rage Against The Machine parmi les 82 heureux élus, Rock en Seine s’alignait sur ses concurrents les plus à la pointe de l’actualité, et redorait illico son blason d’évènement rock. Surtout, l’organisation a eu la bonne idée de ne pas faire subir sa programmation en regroupant les esthétiques, les jeudi et vendredi étant consacrés aux musiques ouvertement électriques, les samedi et dimanche à des sonorités plus pop et mainstream nous poussant à volontairement déserter les lieux et laisser la place à un public plus souvent croisé de l’autre côté de la Capitale, dans cet autre bois laissant lui aussi échapper annuellement ses décibels.

Les tops

Sans rancune car il y avait déjà pas mal à faire en deux jours. A commencer par Yard Act qui investissait une des deux grandes scènes en milieu d’après-midi de jeudi, devant un public clairsemé qui ne le sera pas resté longtemps tant le post punk efficace et la gouaille bien anglaise du quatuor ont su attirer le chaland, reparti convaincu. Passé le cirque surjoué et prévisible de Yungblud, celui bien trop timide de Newdad, et l’autre plus classique de Inhaler (emmené par le fils de Bono), c’est Idles qui s’emparait de la grande scène. Combative comme à son habitude, la bande du bien pâle Joe Talbot a néanmoins trahi quelques signes de fatigue, les cinq puisant dans leur réserve avant de rejoindre les Etats Unis pour la suite de leur tournée. Bien qu’un ton en dessous de leur incroyable concert au Primavera quelques semaines plus tôt, les anglais sont parvenus à mettre le public parisien dans l’oeil du cyclone, et le faire décoller pour le bien de Fontaines DC qui leur emboitait le pas sur la scène opposée. C’est donc sans mal que Grian Chatten et ses sbires ont pu saisir tout ce petit monde au vol, pour plus d’une heure d’un concert en guise de best of de sa pourtant jeune – mais riche – discographie. Assurément, le public rock tient là un groupe capable d’incarner toute une génération dans l’épaisse histoire du genre. Quelques minutes plus tard, des Arctic Monkeys à la peine n’ont fait que confirmer qu’une place est à prendre.

Le lendemain fut plus intense encore. D’abord, Jehnny Beth et Gwendoline s’affrontaient à distance, la première pour un projet solo très indus à la prestation musclée, les seconds pour s’emparer du statut de révélation du jour. Armé de son registre qu’il qualifie lui-même de schlagwave, le duo breton a laissé parler toute l’efficacité de son premier album, et dévoilé une présence scénique aussi attachante que volontairement contrastée. On attend déjà la suite, avec la même impatience qui était la nôtre au moment de nous laisser porter par les tubes shoegaze implacables de DIIV, et le psyché dansant de The Liminanas qui prenait ensuite le relais sur la grande scène. L’enchainement James Blake – London Grammar laissant le temps de se remettre des premières émotions de la journée, c’est avec les talentueux et originaux Squid – pourtant en concurrence avec Kraftwerk en ce début de soirée – qu’on remettait le pied à l’étrier en attendant la grande messe, celle du patron. Quelques années après leur dernier passage à Rock en Seine, Nick Cave et ses Bad Seeds (photo ci-dessous) avaient pour mission de clôturer ce deuxième jour en beauté, ce qu’ils n’ont pas manquer de faire. Durant deux heures, le groupe a parcouru sa longue discographie, ponctuant sa setlist de classiques comme de titres plus obscurs. Fidèle à lui-même, Nick Cave a, sans le vouloir, donné une énième leçon : une leçon de partage avec le public, une leçon d’humilité, une leçon de générosité surtout qui s’est achevée sur un rappel et un Into My Arms en guise de communion d’adieu.

Les flops

Soyons franc, cela faisait un bail que Rock en Seine n’avait pas aligné autant d’arguments en sa faveur deux jours d’affilée. Et pas de doute que si le sort ne s’était pas acharné sur sa filiation à Rage Against The Machine – le groupe devait déjà s’y produire en 2020 avant que le Covid ne fasse le reste – le plaisir n’aurait duré que plus longtemps. Reste à savoir dans quelle mesure ce mardi 30 août finalement annulé aura influé sur les points noirs de cette édition. Car il est difficile de passer outre une affluence record – 150 000 personnes en quatre jours – et ses conséquences : les queues interminables aux bars, aux stands de bouffe, et aux rechargement de cet ignoble cashless aussi pratique pour les employés du site qu’il pourrit la vie des festivaliers. Dur de faire abstraction de ce grand cirque marketing n’hésitant pas à baffer les basiques écologiques que l’actualité assène pourtant au quotidien. Insupportable de faire comme si cet ignoble enclos baptisé ‘Golden Pit’ – raillé mêm par Nick Cave durant son show – n’avait jamais existé, offrant un spectacle désolant d’un public séparé entre spectateurs lambda et d’autres privilégiés ayant payé pour se garantir une place tout près de leurs artistes préférés. Ou non d’ailleurs. Impossible enfin de ne pas souligner les prix excessifs pratiqués d’un bout à l’autre d’un domaine ou les sandwiches à 15 balles ne sont pas rares.

Les ligaments croisés de Zach de la Rocha peuvent-il à eux seuls endosser toutes ces responsabilités ? Les évènements culturels de masse ne sont-ils pas définitivement incompatibles avec l’humanité qu’on attend (encore mais en vain) de leur part ? N’est-il pas temps pour les révoltés de Saint Cloud de tendre enfin la main à des festivals de moindre envergure qui mijotent chaque année des affiches de haut vol tout en accueillant leur public en lui promettant de repartir enrichi d’une véritable expérience, méritant ainsi qu’on rende leurs initiatives pérennes ? Oui, Rock en Seine fait définitivement fausse route en ne se mettant pas à la portée de toutes les bourses, pire en les opposant. Mais il n’a jamais caché ni son jeu ni son profit. Ou ne peut clairement plus les cacher. Dès lors, libre à chacun de vouloir y participer, ou d’aller découvrir les joies d’un panorama culturel national qui peut encore se vanter de sa diversité, et ainsi la renforcer.

PHOTOS

Photos : Florian Denis & Manu Wino


1 Commentaire
  • Tonio
    Posté à 14:46h, 07 septembre Répondre

    merci pour cette conclusion ; il y a déjà quelques années que j’ai rayé ce festival de ma carte..

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