
06 Juin 19 Primavera Sound 2019, dernière étape avant le grand vertige
Toujours plus grand, toujours plus haut. C’est l’impression qui s’est une nouvelle fois dégagée de cette édition barcelonaise que la direction du festival a voulu irréprochable sur tous les plans. Musicalement évidemment puisque sa programmation n’a pas dérogé aux règles de diversité et d’exigence qui ont fait sa réputation au fil des vingt dernières années. Mais, devenu la plus grande vitrine européenne des musiques actuelles, le Primavera Sound se devait aussi d’instaurer une nouvelle norme – The New Normal – en vantant la parité de son affiche, en se faisant le miroir de la diversité de la société moderne, en encourageant haut et fort le respect d’autrui, et en se souciant des problématiques écologiques. Au bord de la Méditerranée, il y a avait donc de toutes les nationalités, de toutes les races, de tous les genres, mais il n’y avait plus de gobelets en plastique jonchant la grande étendue de béton, recouverte cette année d’une pelouse synthétique très ‘coachellesque’. Gagner au change comme on dit.
En réunissant un total de plus de 220 000 personnes, dont 63000 samedi soir dernier pour battre son record historique, le Primavera Sound a réussi son pari de changer subtilement son fusil d’épaule sans froisser. Car, à y regarder de plus près, le festival est loin de ce qu’il était il y a encore une poignée d’années, quand il faisait du pied au public indie rock pointu et/ou curieux, et se contentait de quelques têtes d’affiche bien senties pour assurer sa fréquentation. En 2019, plus que jamais, le marketing était partout : pas une seule scène, pas un seul stand, pas un seul bar, pas un seul recoin du Parc del Forum n’était pas la propriété d’une marque, quelle qu’elle soit. Même les habituels sérigraphistes et disquaires qui accueillaient encore l’an passé les festivaliers dès l’entrée du lieu ont été gentiment invités à se retrancher dans quelques coins obscurs pour laisser la place à une boutique éphémère Pull & Bear… Encore mesuré au sein de la partie historique du festival occupée par un public rock souvent sujet à l’indigestion publicitaire, il en est tout autrement du côté du Primavera Bits, ce petit paradis pour clubbers ou plage et palmiers accueillent désormais des maisonnettes Ikea en carton, ou l’on danse sur un playground à l’effigie d’Adidas devant la scène du même nom. Pas de doute, qui s’arrache les cheveux pour trouver des moyens de financer son festival prendrait ici une véritable leçon.
Malgré tout, c’est bien la musique qui est restée reine en ce dernier week du mois de Mai à Barcelone. Et là encore, le Primavera Sound Festival évolue. Alors que le line up electro du Primavera Bits s’étoffe chaque année, la programmation générale s’ouvre toujours un peu plus à la musique urbaine comme au mainstream, tout en faisant cohabiter les différents types de festivaliers : les plus exigeants squattent les petites scènes, laissant – dès la nuit tombée surtout – les fans des stars internationales applaudir leurs idoles sur les plus gros plateaux, encadrés d’écrans géants. Et à ce petit jeu, cette édition 2019 n’aura lésé personne.
Miley Cyrus, Carly Rae Jepsen, J Balvin, Solange (photo ci-dessus à gauche), Janelle Monae… Les noms les plus ronflants n’étant pas pour nous, c’est du côté obscur du Primavera Sound que nous sommes allés chercher notre bonheur, là où les choix sont parfois cruels, plus encore quand on n’y fait pas les bons. Ainsi, on regrettera certainement longtemps de ne pas avoir assisté aux prestations remarquables (parait-il) d’Apparat (photo ci-dessus en haut) dans un Auditorium à l’acoustique parfaite, ou de Amyl & The Sniffers (photo ci-dessus à droite) qui a balayé de son énergie débordante les rives de la Méditerranée. C’est donc ailleurs que nous nous sommes rabattus dès le jeudi soir : sur la bonne humeur de Mac Demarco (photo ci-dessous à gauche), l’efficacité de Danny Brown et Nas, la voix magnifique d’une Julien Baker définitivement au-dessus du lot des nombreuses songwriters présentes cette année à Barcelone. Lucy Dacus, Snail Mail ou encore Soccer Mommy peuvent en prendre de la graine. On se souviendra également de l’énergie communicative de Courtney Barnett (photo ci-dessous à droite), rassurante au milieu de formations souvent trop scolaires. Oui Stephen Malkmus & The Jicks (photo ci-dessous au centre), c’est bien de vous dont on parle.
Le lendemain s’annonçait plus riche encore, notamment par la présence d’icônes dont la qualité des prestations est chaque fois garantie. C’est le cas de Geoff Barrow venu avec un Beak> particulièrement affûté, de Low (photo ci-dessous en haut à gauche) qui – malgré un dernier album plutôt clivant – n’a pas manqué de captiver conquis et curieux, de Pond qui n’a pas dérogé à sa réputation de parfait ambianceur quelques heures avant un Tame Impala (photo ci-dessous en bas à gauche) toujours impeccable, bordé au millimètre, et qui n’aura finalement rien dévoilé de plus que ses deux récents nouveaux morceaux. A leurs côtés, les revenants de Jawbreaker (photo ci-dessous en haut à droite) prouvaient que plusieurs dizaines d’années d’absence n’ont pas altéré leur punk rock, tandis que Kate Tempest (photo ci-dessous en bas à droite) tenait la baraque malgré une scène un peu trop grande pour elle. Même les vétérans britpop de Suede, emmenés par un Brett Anderson quasi incontrôlable, décrochaient la timbale.
La dernière soirée était plus encore placée sous le signe de la nostalgie. En marge de la prestation généreuse de Frank Carter & The Rattlesnakes (photo ci-dessous à gauche), comme de celle bien huilée de l’enfant du pays Rosalia (photo ci-dessous en haut) goûtant pour de bon à sa nouvelle notoriété internationale, ce sont les années 90 qui étaient définitivement à l’honneur ce samedi. D’abord avec Built To Spill venu interpréter l’intégralité de son must have Keep It Like a Secret. En rang d’oignon et emmené par un Doug Martsch n’adressant pas un seul mot à son public, le groupe de l’Idaho restera comme la véritable déception de cette édition 2019. Une contrariété heureusement vite gommée par les habitués de Shellac (photo ci-dessous à droite) toujours égaux à eux-mêmes, les revenants de June of 44 dont le set indie post rock a conservé sa rare justesse malgré les 20 ans d’absence tout juste traversés par le groupe, et la présence de deux anciens Fugazi au sein de The Messthetics dont le concert aux accents rock prog n’a finalement pas trouvé meilleur accueil qu’un parterre étonnamment parsemé.
Peu de déceptions, peu de surprises aussi, et beaucoup d’évidences donc au menu de cette dix-neuvième édition du Primavera Sound. Au-delà des choix drastiques imposés par la densité de la programmation, on aurait pu – pour un rassasiement total – accorder plus de temps à Sons of Kemet, Erykah Badu ou Stereolab, ou tout simplement en trouver pour Aldous Harding, The Comet Is Coming, Little Simz, Kurt Vile, Interpol, ou Pusha T qui devaient eux aussi valoir la peine qu’on y tende attentivement l’oreille. Mais c’est aussi ça le Primavera : on en revient la tête pleine de musique et de souvenirs, mais aussi de cette frustration qui vous donne paradoxalement l’envie d’y revenir, pour faire plus et mieux.
D’autant que 2020 s’annonce comme un grand cru pour le festival. Au-delà d’avoir déjà coché le retour de Pavement en exclusivité mondiale à Barcelone et Porto l’année prochaine, le Primavera Sound a commencé à fêter son vingtième anniversaire en annonçant de multiples évènements orbitaux, à commencer par le Primavera Weekender qui se tiendra en novembre prochain à Benidorm, avant de traverser l’Atlantique en septembre 2020 pour une première édition à Los Angeles. Il se murmure que Londres pourrait être prochainement annoncé également. La machine de guerre est donc bel et bien partie à vive allure. Ne lui reste plus qu’à ne pas crasher son solide capital éthique et sympathie.
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