
11 Sep 15 On y était! – Retour sur le FME 2015
Rouyn-Noranda. Petite ville d’environ 41 000 habitants, fondée en 1926, à 632 kilomètres au nord-ouest de Montréal, en Abitibi-Témiscamingue, au Québec. Connue pour ses explorations minières et agricoles, la commune est bordée d’immenses forêts et de lacs, des paysages typiques du Grand Nord Américain, façonnés en partie par l’activité industrielle de l’homme. Si les vues sont belles, les terrains le sont beaucoup moins, pollués par des années d’extraction et de déferlement de déchets. La pollution y est pourtant invisible. La bourgade est faite de ces gens habitués à l’isolement géographique, de travailleurs et d’enfants du cuivre, comme on peut le voir à Passy, au pied du Mont-Blanc.
C’est ici que prend place le Festival de Musique Émergente depuis 2002. Vitrine de la musique québécoise, marché d’export de groupes français, le FME conjugue accueil du public local et de professionnels venus de loin, dont de France. Parmi eux, programmateurs, tourneurs, journalistes, tous présents pour des objectifs différents.
Pour commencer, louons l’accueil du festival, princier et fort bienveillant. Tout est mis en place pour procurer confort et divertissement à cette délégation hexagonale venue en masse. Ici, des excursions sont organisées pour les plus aventureux. Là, des apéritifs sont proposés en bord de piscine ou près d’un feu. Il y a boire et à manger.
Malheureusement, c’est aussi le cas pour la partie musicale. Artistiquement, le FME se rapprocherait d’une synthèse entre le MAMA et le Printemps de Bourges, certes à moindre échelle. Ariane Moffatt cohabite sur la même scène que Doldrums ; les Fleshtones prolongent leur carrière, au même titre que I-Phaze, dont on avait oublié l’existence ; le hard-rock, la folk locale et le R’n’B jouent dans la même cour de récré, généralement tous dans leur version la plus kitsch.
Il y a bien des valeurs sûres, telles que Deerhoof, Duchess Says ou Kid Koala, mais cela ne constitue en rien des découvertes. Il y a les Français de Ropoporose (ci-dessus) ou Totorro, d’ailleurs plus charmants dans le cadre de leurs concerts dits ‘sauvages’ que dans celui étriqué de leurs scènes. Il y a aussi de bonnes surprises, telles que Corridor, formation montréalaise nourrie à la pop et au shoegaze. Certains, comme notre confrère de Villa Schweppes, citeront les Marinellis; d’autres comme les acolytes de Novorama évoqueront Jeff Mac Cormack Seoul, et d’autres encore parleront de Moon King.
Il y a aussi pas mal de daubes, avouons-le, dont Jeanne Added, dont on ignore encore comment le qualificatif ‘post-punk’ a pu glisser dans les écrits de certaines publications. Il y a aussi les particularités culturelles, notamment ces groupes locaux de ballades aux paroles d’une candeur telle qu’elles appellent parfois des envies de meurtre: ‘À cet instant, un bébé pousse dans le ventre de sa mère‘, entends-je ainsi en traversant une rue.
La traversée des rues, c’est ce qu’il reste quand, hagard, nous cherchons un espoir d’éclaircie musicale. Rouyn-Noranda se parcourt aisément à pied, ce qui génère des aller-retours incessants entre les différentes scènes et bars, souvent en vain. Sur le site principal, des DJ s’aventurent à des propositions de toutes sortes, d’un remix fort justement oublié de Desireless à l’eurodance des Balkans, en passant par de la fusion electro abjecte, dont la seule qualité est d’accélérer la digestion jusqu’ici nouée par le jet-lag. Ce n’est cependant guère moins bien que la prestation de Molly, vacancière en provenance du Rex, venue diffuser la bonne parole d’une deep house avariée.
Heureusement, il y a ‘Chez Morasse’, établissement qui se revendique de servir la meilleure poutine du monde. Si nous laissons à d’autres le soin de goûter à la spécialité (plus ou moins appréciée au regard de leurs grimaces), nous contribuons ardemment à faire fructifier le restaurant, bien qu’il ait déjà pignon sur rue. De toute évidence, ‘Chez Morasse’ est une institution à Rouyn-Noranda, responsable de la nutrition de plusieurs générations, à base de steaks de boeuf, de bacon ou de porc séché, de sauces et de boissons fluos. Ici, on y vient entre amis, en famille, seul ou en couple. Sa fréquentation est telle qu’on se demande s’il n’a pas contribué à financer notre voyage, une sorte de ‘Los Pollos Hermanos’ d’Atibiti.
L’autre bonne nouvelle est l’existence du ‘Bar des Chums’, la taverne des amoureux du classic rock et des moteurs. Les santiags sont de mises, et le limbo y fait fureur, sublimé par le son de Mich et Caro, duo de choc, armé d’une guitare et d’une bande-son. Quelque part entre Jessica 93, Yves Montand et Eddy Mitchell, le couple embarque ses fans, semble t-il chaque soir, vers les démons de minuit. Espace de fraternité virile et d’éthylisme quotidien, le ‘Bar des Chums’ n’usurpe pas sa réputation. Probablement beaucoup d’enfants furent conçus en son sein.
En face, les billards du ‘Diable Rond’ font concurrence sans rougir. L’ambiance est plus lumineuse, mais non moins fougueuse. Des tournois de ce sport à la queue s’y déroulent et, selon les dires de la charmante barmaid, la compétition est acharnée. C’est par ailleurs ici qu’un septuagénaire aviné du nom de Speck me proposera un investissement foireux de 6000 $CAD dans l’entreprise de son fils, Marc: ‘Y a de l’argent à se faire‘, me dit-il.
De l’autre côté, près du lac, il y a aussi le kiosque et ses bancs. À Rouyn-Noranda, les bancs trônent partout près du plan d’eau, lui-même situé en face de l’hôpital. Malgré le caractère toxique de l’eau, l’ambiance est bucolique. On peut s’y asseoir et attendre. Ici, l’ennui est toléré et tolérable. Il n’y a pas de vague. Un soir, près du kiosque, un jeune homme prénommé Francis, dont on ne peut véritablement dire l’âge, quelque part entre 16 et 28 ans, nous propose un ‘party’ dans notre chambre d’hôtel. Il peut nous amener deux, trois femmes, nous dit-il. Après concertation instantanée du regard, nous déclinerons, non sans remercier Francis de son aimable invitation. Il repartira, hilare. Quelques dizaines de mètres plus tard, nous l’entendons toujours.
Mais à Rouyn, rien n’est perdu. Même pendant ces moments d’errance, l’expérience est réjouissante. Comme ce moment où, durant près de trente minutes et avec les moyens de technologies modernes, nous nous cherchons avec les collègues de Villa Schweppes et New Noise dans un hôtel de trois étages, sans parvenir à se trouver. C’est une anecdote privée qui n’a rien à faire ici, si ce n’est pour souligner le caractère parfois très poussif de cette épopée.
Évidemment, le FME fut aussi le théâtre de belles rencontres, comme Franz, le talentueux barbier local, volontiers partageur de son Jägermeister, même pendant sa prestation. Ou le disquaire du coin, avenant et connaisseur. Ou les commerçants, tous plus spontanés et agréables les uns que les autres. D’autres troquets, tels que le Cachottier ou l’Abstracto, sont de beaux endroits.
Enfin, les environs sont superbes, ceux-là même dont il est impossible de voir la fin. Les routes larges et droites ravissent les bikers et leurs lourds engins. La faune y est exotique vue de notre côté de l’Atlantique, et à cette saison, l’été indien, le soleil brille sans fin, comme une impression de fin du monde, paisible et aride.
Ville de passage, Rouyn-Noranda présente un cachet savoureux, celle de ces villes perdues au milieu de nulle part, où l’été est accueilli avec célébration après les intenables hivers à moins trente degrés. Dans ce contexte, Rouyn-Noranda se prête à merveille à la visite pour quelques jours de villégiature, le festival n’était qu’un prétexte pour le découvrir.
Crédit photos: Christian Leduc
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