13 Juin 22 Levitation France 2022, on vous raconte…
Frustré et râleur. Assez improbable d’aborder son festival préféré de la sorte, mais vers 19h30 à Angers, ce vendredi 3 juin, ce sont pourtant les sentiments qu’on peinait à canaliser au moment de retrouver l’enceinte du Chabada. Sentiments qui n’étaient pas uniquement dûs à ce qui avait bouleversé la journée, mais à une accumulation de petites choses qui venaient chambouler les habitudes. Quand elles sont bonnes, pourquoi les changer ?
Le festival Lévitation a indéniablement acquis un statut de référence en matière de programmation rock indépendante et transcontinentale. Normal qu’il veuille continuer de grandir et rayonner. Mais, voilà. Notre vie est étriquée et faite de repères forts. On aimait bien notre petit week-end automnal, ce closing parfait de la saison des festivals. Alors, dès l’annonce, en novembre dernier, d’une reprogrammation début juin, et sur trois jours, de la fête psyché-indé des bords de Maine, on craignait que la manifestation ne perde irrémédiablement son âme… Bon, ok, on en fait un peu trop.
Les mois passent, la vie suit son cours avec ses impondérables et les vieux schémas en tête. Pour la première fois, il nous sera impossible de couvrir l’évènement du début à la fin. Du coup, lorsque la programmation tombe, on rage de savoir ce qu’on va déjà rater : Unschooling, Crack Cloud ou le Brian Jonestown Massacre entre autres, tous programmés ce dimanche 5 juin où notre esprit sera à Angers, mais notre corps… ailleurs.
Puis, le soir de l’ouverture du festival, c’est coincé dans les bouchons avec des milliers d’impatients ayant décidé de profiter de la mer pendant trois jours qu’on apprend deux drames : d’abord l’absence de Dry Cleaning, prévu pour être un des plats de résistance de cette première soirée. Les anglais sont pris en otage en plein jubilé de la reine, par une compagnie aérienne pas scrupuleuse du tout. Puis, en conséquence, c’est la réorganisation de la soirée qui ne nous permettra pas d’entendre Stuffed Foxes qui ouvrait le bal tandis qu’on galérait encore sur l’autoroute.
VENDREDI 3 JUIN 2022
C’est le son garage d’Albinos Congo qui sert pour beaucoup de festivaliers d’introduction à l’évènement. Devant un public qui arrive tranquillement, pas encore prêt à se laisser porter, le combo frenchy fait le boulot, proprement, bruyamment, en alternant le gros son fuzzy, avec des nuances plus prog laissant plus de place à des machines. On reconnaît déjà tout ce qu’on aime dans ce festival, on se détend, et on attend la suite avec curiosité.
La curiosité, c’est un peu tout ce qui reste à Black Country New Road. Le groupe est méconnaissable, bredouille sa musique, tente de se réinventer sous nos yeux. Au complet, il peinait déjà à trouver une énergie scénique; sans son leader Isaac Wood, il semble perdu à vouloir créer quelque chose de neuf. Chaque membre tente sa chance alternativement, la complexité musicale se délite au fil du show, les titres flirtent parfois avec une gentille comédie musicale aux voix mal assurées. Un moment pénible qui permet à Automatic (photo ci-dessous) de prendre une ampleur inattendue. Si on ne peut pas parler pour autant de première claque du week-end, le girl band réussit à réveiller la foule avec son set parfaitement calé entre disco pop et new wave. Les claviers vintage aux mélodies efficaces, voire addictives, remuent les corps encore engourdis. Basique et efficace, parfois facile, le groupe ne prend guère de risques, bien que tenté en fin de set par des inspirations plus sèches et kraut, mais toujours vite agrémentées de gimmicks disco.
Pour les grosses émotions, il ne nous restait plus qu’à miser sur Kevin Morby (photo ci-dessous) qui mettait tout le monde d’accord en ouvrant le show avec une interprétation sublime de This Is A Photograph. Parcourant les chemins d’un blues rock typique, déjà rebattu par Dylan ou Springsteen, il renouvelle pourtant parfaitement le genre, distillant une énergie rock et glam à tout va. Visiblement heureux d’être là, jamais aussi bon que lorsqu’il saisit sa guitare, maîtrisant son show à la perfection, il enchaîne avec son groupe les ballades folk et les titre imparables, rodés, anthologiques, tels Wander ou Harlem River sur plus de dix minutes qui renversent le public, passé par toutes les émotions.
Dans ce qui est devenu la tradition des fins de soirées, c’est Gilla Band (ex Girl Band) qui était chargé d’embraser les derniers moments de cette première journée dans une grande cacophonie. Le groupe a parfaitement répondu au cahier des charges, dans un style fait de hurlements et d’explosions à peine contrôlées.
SAMEDI 4 JUIN 2022
On attend patiemment que le traditionnel orage passe avant de se rendre au Chabada. Les plus courageux, arrivés à l’ouverture des portes, sont détrempés mais n’auraient pas raté une note de Servo, Péniche ou You Said Strange. C’est Death Valley Girls qui joue dorénavant devant un public encore disséminé, mais qui arrive massivement. Le noise rock très fuzzy du girl band correspond parfaitement à l’atmosphère humide et chaude de la soirée. Aucun temps mort, une interaction permanente avec un public joyeux, beaucoup moins réservé que la veille, une petit voix aigrelette qui débite sur des rythmiques affolées, le groupe éveille nos lointains souvenirs punks des MC5.
Gustaf prend la relève et confirme le changement d’ambiance ressenti dans le public depuis le début de la soirée. Groupe de filles déguisé, sautillant, impossible à canaliser, porté par le groove d’une ligne de basse impeccable, elles emportent progressivement le public dans leur show improbable, en tout cas inattendu. Sorte de warmduscher féminin, elles pourraient être considérées comme l’archétype de la programmation cette année : un retour en force des bois et des cuivres (flûte et sax principalement) et importance, évidente et naturelle, prise par les filles sur la scène de Levitation ces dernières années.
On se dit alors que ce serait une gageure pour Bruit≤ (photo ci-dessus) de conserver l’atmosphère posé par les deux groupes précédents, tant sa musique ténébreuse et introspective semble en être à l’opposé. Mais c’est pour ce genre de contraste qu’on aime ce festival, et les toulousains vont littéralement plier le game. Beaucoup plus cérébral et statique que ses prédécesseurs, mais tellement puissant et juste qu’on en reste sans voix, le quatuor ouvre les hostilités sur des mots d’Albert Jacquard : ‘une société peut être construite sans compétition‘. Le ton est donné, la révolte et la colère passeront, à la manière d’un Godspeed You! Black Emperor occitan, par l’alternance des montées irrespirables et des explosions volcaniques magistrales, comme autant de révoltes. Du grand art.
Le public, pourtant, a choisi de faire sa pause à ce moment-là pour profiter du set de la reine Kim Gordon (photo ci-dessous) à suivre. On retrouve dans le son du groupe des tentations shoegaze lancinantes, toutes en retenues, jouant avec des motifs beaucoup plus expérimentaux. Si l’ensemble est toujours très soigné, il peine aussi à décoller. La reine Kim abuse d’un parlé-chanté monotone, mis très en avant, qu’on attendrait davantage chez Iggy Pop. Heureusement que le fond de scène s’anime. On voyage dans des villes américaines, et on est tiré de notre torpeur lorsque la chanteuse se met à la guitare pour quelques titres plus jubilatoires, binaires et garage. Pas difficile pour Pond de relancer la machine à groover. Les australiens maîtrisent parfaitement leur partition, Nick Allbrook assure le show et transforme le parterre en dancefloor, mais la fraîcheur de leur disco-rock glamour finit, comme souvent hélas, par plafonner. Sans avoir vraiment le temps de se lasser, on se dit malgré tout que la recette est un peu facile et répétitive. Mais il est presque vingt-trois heures, et on se laisse finalement aller avec plaisir.
Surtout qu’on a bien regardé le programme, et qu’il faut canaliser l’impatience qui nous gagne. Parce qu’on est clairement venu pour eux, parce qu’ils sont rares, que c’est leur dernière tournée, que leur musique est proprement incroyable, on n’en peut plus d’attendre l’arrivée de Kikagaku Moyo (photo ci-dessous). Le collectif investit la nuit dans des mesures assez classiques de rock progressif, et on profite tout d’abord des éclairages aux balayages parfaitement calés sur les variations. Si cela peut paraître tenir du détail, leur rôle hypnotique dans la lente montée vers la transe qui emporte tout le public est sûrement essentiel. Passant avec aisance par tous les styles qu’ils ont investi au cours de leur carrière, les japonais nous servent aussi facilement une sorte de folk électrique, d’ethno-jazz ou de rock psychédélique mâtiné de Sitar. Toujours enchanteur, le collectif semble piloté par une entité supérieure (ou juste l’expérience, peut-être) qui permet à chacun des membres de prendre la main au bon moment pour donner toutes les couleurs possibles au son. Cette fusion millimétrée, où électricité et acoustique cohabitent à la perfection, où ne transparaît aucun labeur, tient de la magie. Jamais Levitation n’avait si bien porté son nom.
On peine à redescendre. Et une fois posé, la frustration qui nous accompagnait la veille à l’arrivée n’existe plus. Certes, on va rater quelques moments magiques, mais on a la certitude que le nouvelle formule est la bonne, et qu’on reviendra l’année prochaine, encore. Pour la dixième.
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