Interview – Four Tet, état des lieux

Interview – Four Tet, état des lieux

C’est sur les côtes Malouines, les tympans à peine remis de la purée charivarique de My Bloody Valentine, que nous avons croisé l’anglais Kieran Hebden: petit génie post-rock electro, membre fondateur de Fridge à peine âgé de 15 ans en ce temps, qui fort du succès de ses 4 albums et moultes remixes, nous annonce la sortie de son prochain album solo début 2010. De passage à la Route du Rock pour la seconde fois, nous revenons sur les prémices de cette musique électronique aux multiples influences, comme sur son label Text Records et les dernières créations issues de sa collaboration avec Steve Reid.

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D’ou t’est venue cette envie de collaborer avec Steve Reid? (batteur de jazz américain qui a notamment travaillé avec James Brown, Miles Davis, Fela Kuti…)

Kieran Hebden: Il y a quelques années, je cherchais à faire quelque chose d’un peu différent. J’ai beaucoup travaillé en solo auparavant, et j’avais cette idée en tête qu’il serait intéressant de faire un projet avec un batteur, plus particulièrement un batteur de jazz. Je me disais que ça laisserait sûrement plus de place à l’improvisation. J’en ai parlé à ce type, quelqu’un qui vit a Paris d’ailleurs, et Steve Reid lui est tout de suite venu en tête. Il l’a contacté et la rencontre s’est faite en Suisse. La complicité a été immédiate, on a tout de suite été sur la même longueur d’ondes, on voyait ce projet de la même façon. Ca aurait pu être un petit projet comme ça en parallèle, mais ça va faire trois ans maintenant, et on y prend toujours autant de plaisir. Nous avons fait quatre albums ensemble, et on ne compte pas s’arrêter là. On a juste un peu ralentit la cadence récemment puisque je me suis remis sur mon projet solo. Nous faisons peu de concerts, nous sommes assez pris tous les deux, donc on préfère se réserver pour les occasions spéciales. On a joué a Londres il ya quelques semaines, en Suisse en Octobre, au japon également, mais la seule vraie tournée qu’on ait faite, c’était au Royaume Uni.

Quel est ton prochain projet, ou prochaine collaboration?

Je viens juste de terminer le prochain Four Tet, je n’avais rien sorti depuis quatre ou cinq ans, et ça fait à peu près un an que je bosse dessus. C’est assez intense en ce moment. Il devrait sortir en janvier prochain, et je vais sûrement être complément happé par ça jusqu’à la fin de l’année prochaine. En ce moment, je bosse surtout sur le graphisme et tous les concepts qui accompagnent le disque. Je suis super enthousiaste sur ce projet.

Peux-tu nous parler de ton label Text? Y a t-il une direction musicale ou est-ce un label plutôt ouvert?

On vraiment créé Text pour se faire plaisir, et ça m’est surtout utile quand j’ai envie de sortir quelque chose à ma façon. On a sorti un single de Fridge sur ce label, il y a un remix qui devrait pas tarder à sortir également, et puis j’ai aussi fait ce projet avec Burial récemment (« Wolf Club » et « Moth » ). On sort en moyenne un disque par an, et c’est parfait comme ça. C’est vraiment quelque chose que je veux faire sans aucune pression, sans stress. Mais ce qui est appréciable par dessus tout, c’est de pouvoir gérer le projet dans son ensemble, de faire son album de A à Z, de pouvoir décider de chaque élément. Tu composes la musique, tu designes la pochette, tu le fais fabriquer, tu suis tout le processus jusqu’a son entrée dans un magasin. Ca me rend assez fier ces moments là oui, de faire les choses dans leur ensemble et surtout de la façon dont tu le souhaites.

Tu as fais essentiellement des dj sets ces dernières années. Qu’en est-il des sets live et quelles sont les raisons de ce choix?

Ca n’est pas que je préfère l’un à l’autre en vérité. Dans un sens, ce sont juste deux expériences assez différentes et complémentaires. Le Djing m’influence dans mes propres créations. Par exemple, j’adore travailler mes morceaux, puis les mettre à l’essai lors d’un mix. Ca me permet de voir comment ils fonctionnent, de voir s’ils sont efficaces. Tu peux vraiment te rendre compte instantanément de l’efficacité d’un morceau. Parfois, les gens réagissent à la musique avant même de la comprendre, ils la sentent, ils réagissent sur le champ. Il m’arrive aussi de réaliser la puissance de certains albums dans ces moments là, juste en observant la réaction du public. C’est l’une des qualités les plus importantes d’un bon Dj à mon sens, de savoir observer et d’entrainer son public. Dans les moments de grâce, tu dois pouvoir modifier l’ambiance en un instant, et emmener tout le monde avec toi. En Dj, je joue trois ou quatre heures généralement, c’est axé sur la durée et la progression, alors que lorsque je fais des lives, c’est vraiment ma musique que je présente. Dans ce cas, je joue une heure à peu près, mais c’est beaucoup plus intense comme expérience au niveau de la relation avec le public parce que je m’attends à ce que les gens soient un peu plus concentrés, qu’ils viennent vraiment écouter mon travail. En tant que Dj, je suis un peu plus anonyme, et je me fous de savoir si les gens savent que je suis derrière les platines ou pas. C’est un peu plus relax, c’est la musique qui nous guide.

four1Quels sont les albums ou les courants qui t’ont marqués? Les groupes actuels qui attirent ton attention en ce moment?

En fait, il y a plusieurs tournants importants dans mes goûts musicaux en fait. J’avais onze ou douze ans quand j’ai commencé à jouer de la guitare, et je me suis mis à écouter Jimmy Hendrix à peu près au même moment. Je crois que c’est la première fois qu’en écoutant de la musique je me suis vraiment demandé de quelle façon elle avait été construite. J’avais du mal à comprendre comment il avait procédé. Je l’écoute toujours beaucoup d’ailleurs, je trouve sa musique très inspirante, au niveau des mélodies surtout. J’ai même enregistré un ‘tribute compilation to Jimmy Hendrix’. Le second tournant, c’est quand j’ai découvert le jazz, j’avais 19-20 ans et tout ce que je connaissais du jazz, c’était les trucs assez cheezy, que j’aimais bien aussi d’ailleurs. Puis j’ai réalisé qu’il y avait un tout autre pan, plus lourd, plus cosmique, presque psychédélique, et je pense que le déclic s’est vraiment produit quand j’ai écouté Alice Coltrane pour la première fois. Et Miles Davis aussi. Ils ont eu un impact énorme. Mais j’ai du mal à penser à un album en particulier, ce sont plus des périodes, des moments ou j’ai découvert des courants musicaux qui ont tout secoué. J’adore ces moments, lorsque que des sons nouveaux arrivent et que ca bouleverse tout ce que tu pensais envisageable musicalement. Il y eu d’autres virages par la suite: je me souviens par exemple quand la drum n’bass est arrivée. J’étais ado à ce moment là, c’était vraiment un style de musique qu’il était difficile d’envisager avant que ça se produise, tu ne pouvais pas l’imaginer. Et puis soudain ça débarque, cette musique ne ressemble à rien d’autre et change tout le décor musical. J’adore ces moments, vraiment, quand ça arrive et que ça révolutionne complètement ta façon de voir la musique.  En ce qui concerne la musique actuelle, j’ai vu un concert absolument fabuleux le week-end dernier: The Ex, des hollandais. Ils jouaient avec un saxophoniste Ethiopien ce soir là. Je me suis pas mal intéressé à la musique Ethiopienne, et j’aime vraiment beaucoup. Si on m’avait décrit la scène, je pense que j’aurais eu vraiment beaucoup de mal à conceptualiser le truc: un groupe punk expérimental qui joue avec des musiciens de jazz africains, je me serais attendu à quelque chose d’assez bordélique je crois. Au final, c’est un des trucs les plus beaux et les plus puissants qu’il m’ait été donné de voir depuis très, très, longtemps. Ils étaient impliqués d’une telle façon, le saxophoniste éthiopien était tellement généreux… Et puis entendre ces mélodies reprises par un groupe de punk, ça fonctionnait remarquablement bien. C’était très naturel, génial.

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Fridge… Stop ou encore?

On a commencé à jouer ensemble à quinze ans, et notre premier album est sorti quand on en avait dix-huit. On était encore à l’école à ce moment là. Nous étions extrêmement candides, on s’en remettait complément au reste du monde, on n’avait pas la moindre idée de comment ça fonctionnait, on se disait « on enregistre le truc à la maison, on donne la cassette et ça finit sur un disque« . J’ai un très bon souvenir de cette période, surtout de la naïveté avec laquelle on procédait et on composait. On a récemment sorti une compilation d’ailleurs, avec les premiers morceaux de Fridge. C’était marrant d’écouter tout ça à nouveau, de se replonger dans cette époque. Il y avait des trucs que je n’avais pas entendu depuis au moins dix ans je pense. On est tous de vieux potes dans Fridge, on se voit tout le temps, mais on n’a pas joué ensemble depuis assez longtemps. Nous avons nos projets personnels maintenant, un des gars du groupe fait des études politiques à Harvard, Adem écrit des chansons et bosse sur des musiques de films. On a tous pris des directions assez différentes… Mais on ne sait jamais!


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