08 Mai 11 Tyler The Creator – « Goblin »
Album
(XL Recordings)
09/05/2011
Dark hip hop
Depuis février dernier qu’il a dévoilé le clip de « Yonkers », Tyler The Creator a mis en émoi un monde de la musique en mal de sensations fortes. Il faut dire que, à l’opposé des récentes égéries hip hop définitivement embourbées dans l’autotune et des velléités pop, ce jeune branleur de vingt balais, fan des Neptunes, vient radicalement redistribuer les cartes en grattant le vernis de l’an passé avec un registre d’une rare noirceur, presque flippante pour le coup. Depuis cette démonstration autant musicale que visuelle, on ne cesse donc de voir cet hurluberlu squatter les médias, notamment le web ou il est omniprésent, et la télévision à qui il réserve souvent quelques prestations de haut vol. C’est un fait: Tyler The Creator, véritable icône de l’actuelle génération jackass, sonne le retour au hip hop non-commercial des années 90, ce qui ne l’empêche pas de faire l’unanimité chez ses concurrents directs comme chez ses illustres ainés.
Avec tout cela, et à cause de son jeune âge surtout, on en oublierait presque pourtant qu’il n’en est pas à son coup d’essai. Auteur d’un premier album en 2009 (« Bastard ») et entouré du solide crew de Odd Future dont il reste le cerveau, le bambin possède déjà assez d’expérience pour assumer le buzz qui entoure la sortie de « Goblin ». Presque tête brûlée, certainement un peu ado attardé aussi, il pond délibérément là un disque au cours duquel il semble n’avoir d’autre envie que de s’amuser, en usant constamment de cette provocation dans lequel il excelle. Dans les textes d’abord. Lorsque, avec ses mots et maux (l’absence de son père, un passé difficile…), le Mc aborde sans tabou ni rondeur des thèmes placés sous le sceau de la fiction: la drogue, le suicide, le viol, la violence et le meurtre, tous presque trop lourds pour un gamin de son âge. Faites ce que je fais, pas ce que je dis, et les exemples pleuvent: « Don’t do anything i say in this song, if anything happens, don’t blame me America » dit-il en intro de « Radicals »; « Rape a pregnant bitch and tell my friends i had a threesome » sur « Tron Cat »; « I don’t want a bride, i just want bone marrow » sur « Transylvania »…
Sauf que, derrière la tête à claques de cet ingérable ado, réside une surprenante maturité. Elle s’exprime d’ailleurs aussi très nettement côté musique, puisque Tyler signe la quasi-intégralité des quinze productions de ce disque, dont plusieurs dépassent allègrement les six minutes. Lourdes, sombres, denses, oppressantes, hypnotiques, d’une violence contenue, toutes remettent le noir à la mode. Sons mécaniques et stridents répétés à l’envie (« Yonkers »), synthétiseurs bourrés d’effets (« Sandwitches »), pseudo mélodies à trois notes, beats ténébreux approximatifs (« Golden ») sont autant d’exemples de gimmicks auxquels Tyler The Creator a recours pour sans cesse servir cette impression de non-retour, grandissante au fur et à mesure que l’auditeur s’enfonce dans ce « Goblin » marécageux. Parfaitement huilé, réglé au millimètre, d’une efficacité redoutable, cet opus est de ces broyeuses lentes et imperturbables que rien ne peut arrêter une fois qu’elles sont lancées. Pas même les douceurs RnB de « Analog », ou celles de Franck Ocean sur le refrain de « She ». Alors montez le volume et tentez de faire face!
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