16 Mai 16 Radiohead – ‘A Moon Shaped Pool’
Album / XL / 08.05.2016
Pop
Quel passionnant voyage que celui entamé il y a 24 ans par un Radiohead qui n’a eu de cesse de se renouveler, de vouloir échapper à sa propre routine, s’éloignant toujours volontairement des rives de la banalité. Ces anglais qui comprirent rapidement que leur absence serait toujours synonyme d’attente, que plus ils se feraient petits plus grande deviendrait leur aura, et que s’effacer durant des années dans un monde où l’omniprésence est totale serait pour toujours leur bien le plus précieux. Un bien qu’ils surent d’ailleurs utiliser à bon escient en le mettant constamment au service de leur intégrité artistique, comme de leur exigeante créativité. Car si depuis des années le groupe a su gérer son autonomie médiatique et marketing, il n’en a pas pour autant délaissé sa singularité première : sa musique. Ainsi, plus qu’une nouvelle pierre à l’édifice, ‘A Moon Shaped Pool’ – neuvième album – s’annonce comme une pièce majeure de sa discographie, une magnifique démonstration prouvant que le quintet d’Oxford sait répondre présent dès lors qu’il s’agit de surprendre, coupant ainsi court aux quelques signes d’essoufflement et autres interrogations surgies à l’écoute de son précédent opus ‘The King Of Limbs‘.
C’est en France, dans les magnifiques studios La Fabrique de St Rémy de Provence, qu’a été enregistré ce disque. Les mêmes dans lesquels Nick Cave et ses Bad Seeds enregistrèrent leur non moins sublime ‘Push The Sky Away‘ sur les conseils de… Nigel Godrich. C’est donc dans ce véritable havre de paix, pourvu d’acoustiques diverses et de matériel vintage, que la bande de Thom Yorke a su trouver sérénité et inspiration. Pas un hasard tant, il y a quelques années, le leader du groupe et le producteur laissaient déjà entendre leur souhait d’aller plus loin dans l’expérimentation du travail analogique sur bandes, comme le faisaient les Beatles à leur époque.
En résultent donc les somptueuses textures sonores de ‘A Moon Shaped Pool’, un disque dépassant les 50 minutes, réparties sur 11 pistes curieusement agencées de manière alphabétique. Un album qui oscille entre ombre et lumière, rêves et cauchemars, et qui signe le retour de Radiohead à une musique plus organique que jamais, comme à toutes les entités du groupe d’ailleurs. Car si ‘The King Of Limbs’ faisait la part belle aux influences électro ambiantes de Thom Yorke, cette nouvelle salve renoue – elle – avec la pop classieuse de ‘Ok Computer’ ou ‘In Rainbows‘. Basses, pianos, guitares et batteries sont ainsi sublimés dans leur plus simple appareil, donnant à l’ensemble des chansons une intemporalité et une richesse quasi insoupçonnables (‘Decks Dark’, ‘Glass Eyes’).
Le faussement innocent (mais rapidement addictif) titre d’ouverture ‘Burn The Witch’ reste certainement le morceau le plus énergique du disque, alors que le second – ‘Daydreaming’ – est une sublime ballade longue de 6 minutes. En à peine deux titres, les anglais confirment déjà qu’ils n’obéissent, comme toujours, à aucune règle établie, quand la suite laisse plutôt entrevoir les différentes facettes de chacun des membres du groupe. Sur ‘Desert Island Disk’, le batteur Phil Selway se penche sur la musique folk de Nick Drake chère à son cœur, tandis qu’Ed O’Brien assouvit enfin ses influences brésiliennes plaidées depuis toujours sur le bossa ‘Present Tense’. Le bassiste Colin Greenwood délivre comme à son habitude des lignes de basse mémorables (‘Ful Stop’), et apporte au groupe ses influences R’n’B modernes (‘Identikit’). Quant à son frère Jonny, il semble être à son meilleur niveau d’arrangements. Accompagné du London Contempory Orchestra (un ensemble de violons, d’altos et de choristes), le guitariste fait preuve d’audace, à l’image de ‘The Numbers’ et ses chaleureuses orchestrations rappelant celles de Jean-Claude Vannier pour le ‘Melody Nelson’ de Serge Gainsbourg.
Mais il y a bel et bien une force motrice dans ce groupe en la personne de Thom Yorke. La tête pensante de Radiohead retrouve ici ses meilleurs instants de grâce, et signe de son empreinte personnelle ‘Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggar Man Thief’, un titre qui aurait très bien pu trouver sa place sur son dernier effort solo ‘Tomorrow’s Modern Boxes‘. Mais c’est particulièrement la pureté de sa voix, la justesse de son interprétation, et le double sens de ses mots qui frappent sur l’ensemble du disque. Jamais dans ses textes Thom Yorke n’a aussi bien incarné le spleen et les maux d’une société en réelle perdition (‘Daydreaming’, ‘Glass Eyes’). Il aborde ses convictions politiques (‘Burn The Witch’), environnementales et sociales (‘The Numbers’), mais aussi ses déboires sentimentaux, lui qui s’est séparé l’an dernier de celle avec qui il partageait sa vie depuis 23 ans (‘You really messed up everyhting, Why should I be good if you’re not ?‘ chante t-il sur ‘Ful Stop’). La meilleure représentation de cette fragilité restant cette version retravaillée de ‘True Love Waits’, morceau joué en live depuis 20 ans et qui trouve enfin sa place sur disque. Sublime. Et que dire de Nigel Godrich, humble producteur de l’ombre, architecte attitré du son Radiohead depuis ‘Ok Computer’, et considéré dès lors comme le sixième membre du groupe ? L’homme signe peut-être là sa plus belle réalisation personnelle à ce jour, rendant ainsi hommage à son père décédé lors de l’enregistrement, mais aussi à son mentor, le regretté George Martin également disparu cette année.
Avec ce neuvième album, Radiohead signe, non pas son grand retour, mais simplement la confirmation qu’il demeure certainement le groupe le plus important de ses deux dernières décennies. Source d’inspiration inépuisable pour ses contemporains, le quintet d’Oxford livre ici l’un de ses disques les plus maitrisés, limpides et cohérents, signe d’une maturité et d’une remise en question perpétuelle. Un disque à classer parmi les meilleurs de ce groupe fascinant, qui poursuit avec insouciance son chemin vers l’éternité.
‘Daydreaming’, ‘Decks Dark’, ‘Ful Stop’, ‘The Numbers’, ‘Present Tense’
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