10 Nov 10 Femi Kuti – « Africa For Africa »
Album
(FKO Music)
08/11/2010
Afrobeat
Il y a tout juste deux ans, Femi Kuti sortait « Day By Day« , un album acclamé par la critique mais néanmoins singulier dans le paysage de l’afrobeat nigérian. L’opus avait en effet été enregistré à Paris et présentait une certaine rupture avec l’afrobeat originel dans ses sonorités un brin plus « occidentales ». Si Femi a ainsi toujours affirmé son indépendance par rapport à l’œuvre paternelle, à la différence de son frère Seun ayant repris les rênes de l’orchestre Egypt 80, il est peut-être celui qui ressemble au final le plus à Fela, avant tout par le courage et la ténacité de son engagement.
Ce nouveau « Africa For Africa » est à ce titre une réaffirmation claire de cette filiation, à la fois musicalement et politiquement. Pour cet opus, Femi a en effet choisi de revenir aux racines de sa musique en enregistrant dans le studio Decca à Lagos (studio du label Afrodisia dans les années 70), celui où il a fait ses premiers pas dans le monde de l’afrobeat et où son père avait enregistré une partie de son répertoire. Enregistrer dans ce studio mythique est donc en lui-même un symbole fort, traduisant une volonté de faire naître ce sixième opus dans le berceau du genre, au cœur de l’incandescente Lagos. Mais ce choix a également une influence très nette sur les titres et les sons de ce disque puissant et brut, presque brutal, transpirant autant la joie que la douleur.
Enregistré dans des conditions difficiles avec le vieux matériel du studio, « Africa For Africa » est un véritable coup de poing, mettant la musique au service d’un combat politique plus agressif que jamais, que Femi justifie par la gravité croissante de la situation des Nigérians. Les déchaînements de cuivres dans la pure tradition de l’afrobeat sont ainsi tout autant accusateurs que la verve de l’aîné des fils Kuti, qui dénonce haut et fort la corruption des gouvernements africains (« Politics In Africa », « Bad Governement », « Obasanjo Don Play You Wayo », « E No Good »), n’hésitant pas à les interpeller directement sur un incendiaire « Nobody Beg You ». Mais les instruments savent aussi se faire plus doux pour donner encore plus de poids à ses cris du cœur, décrivant la pauvreté du continent africain sur « Boys Dey Hungry For Town » et les souffrances quotidiennes du peuple nigérian sur le mélancolique « Yeparipa » (déjà présent sur l’album « Africa Shrine », tout comme les titres « Dem Bobo » et « Can’t Buy Me »). Musicalement, « Africa For Africa » est un album luxuriant, gorgé de multiples merveilles acoustiques, comme les riffs de guitare de « Now You See », les percussions frénétiques de l’enthousiaste « Make We Remember », ou les claviers subtils du titre éponyme, sur lequel Femi se fait l’apôtre du panafricanisme dans un chant poignant.
« Africa For Africa » est ainsi un somptueux hommage à Fela et à l’afrobeat des origines, dépourvu de fioritures et contenant une émotion énorme portée par un homme à l’implication sans bornes, dont la voix bouleverse titre après titre par sa force et sa sincérité. En oscillant entre rage et espoir, rires et larmes, et concentrant de ce fait toute l’ambivalence de son pays, Femi continue à faire de la musique et de la danse des armes cathartiques indestructibles pour faire face à la dureté des réalités sociales. La survie du Shrine est à ce titre emblématique le club et lieu de résistance de Femi à Lagos fêtera en effet cet hiver son dixième anniversaire. Preuve ultime que du haut de ses 48 ans, l’aîné de la fratrie kutienne est loin d’abandonner sa lutte politique et artistique, et nous réserve encore, sans aucun doute, de très belles surprises.
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