16 Mai 12 El-P – « Cancer 4 Cure »
Album
(Fat Possum)
22/05/2012
Hip hop novateur
Quand El-P a annoncé il y a deux ans qu’il mettait un terme à l’activité de production de son label Def Jux pour mieux se consacrer à sa propre musique, il était alors intrinsèquement dit que son prochain album marquerait un tournant dans sa carrière. Jusqu’alors très souvent sollicité par les artistes envers lesquels il manifestait tout son intérêt, le new yorkais a peut être fini par ressentir le besoin d’en garder sous la semelle, d’amasser ses meilleures idées, pour les aligner au profit d’un futur album à sortir, pour la première fois, ailleurs que chez lui. « Cancer 4 Cure » tout droit sorti du four Fat Possum et désormais entre nos mains, on prend alors la pleine mesure des lourdes décisions qu’il a du prendre, et surtout du flair dont il a fait preuve.
« It’s like a fresh start in a new world » dit il en ouverture de « Works Every Time »… Cinq ans après un « I’ll Sleep When You’re Dead » qui continuait de le faire définitivement évoluer en marge de tout ce que le hip hop proposait alors, El-P, bien qu’il n’ait pas encore été rattrapé, marque une nouvelle fois sa différence avec un « Cancer 4 Cure » qui, plus que jamais, atteint la perfection sur l’échelle commune de l’innovation, de l’accessibilité, de l’intensité, et de l’efficacité. Et cela sans attendre puisque « Request Denied » qui ouvre l’album armé d’un breakbeat frontal quasi « prodigyen », de synthés sci-fi, de samples et de guitares électriques parfaitement fondues dans le décor, brandit bien haut la couleur de l’épreuve de force qui va suivre. El-P semble fermement décidé à en découdre, son flow millimétré et quelque peu agressif désormais au devant du mix finit d’ailleurs de confirmer toute l’assurance et la confiance qu’il a glanées durant la demi-décennie passée.
Le ton ainsi donné, qu’on se le dise: « Cancer 4 Cure » n’est pas le nouvel album d’un producteur, mais bien celui d’un artiste complet, pour qui les multiples capes ne sont désormais plus aussi lourdes à porter. Logique donc qu’El-P décroche ici une cohérence jamais atteinte auparavant (« Works Every Time », « The Jig Is Up »). Libre comme l’air (il chante même sur « For My Upstairs Neighbor »), à distance confortable d’une concurrence qui ne tente même plus de monter sur ses plates bandes, et quand il ne s’octroie pas une approche nouvelle (« Sign Here »), il retourne à ce qu’il sait faire de mieux sans craindre l’overdose de l’auditeur. Et pour cause, y compris quand il endosse la production de « RAP Music » pour le compte de Killer Mike (présent ici sur un « Tougher Colder Killer » qui pourrait nous faire mentir), rien ne vaut un album pensé et exécuté sur toute la ligne par le bonhomme lui-même: sa voix, son flow, les thèmes souvent lourds qu’il aborde (la mort, le parricide, la paranoïa, la drogue, la politique…) et l’ambiance qui en découle n’ont pas d’équivalent pour servir la réciprocité offerte par sa musique.
D’ailleurs, même si les invités présents ici (Danny Brown, Mr. Muthafuckin’ eXquire, Despot, Nick Diamonds de Islands, Paul Banks de Interpol) contribuent à son essentielle diversité, « Cancer 4 Cure », ses basses gonflées à bloc, ses beats bruts de décoffrage, ses amas de samples, cette mélancolie sous jacente à la fois sombre et oppressante, le rappellent magnifiquement sur des titres poussées au delà de la simple sphère du hip hop par leur approche peu conventionnelle de la composition. Ainsi, « The Full Retard » vous décroche un break quand on se s’y attend plus, « Drones Over Bklyn » s’éteint sur un solo de guitare, « Oh Hail No » change brusquement de rythme sans perdre sa logique, « Stay Down » vire pop sur le refrain… Et que dire du long final « $ Vic/FTL (Me And You ») qui, avec ses ornements electro, pop et blues, annoncerait presque un futur inédit. Mais chaque chose en son temps, surtout quand le présent vaut autant le coup d’être pleinement vécu.
En écoute
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suppasmiley
Posted at 19:27h, 16 maiEncore une bombe!!!