Youth Lagoon – ‘Heaven Is a Junkyard’

Youth Lagoon – ‘Heaven Is a Junkyard’

Album / Fat Possum / 09.06.2023
Pop alternative

Après huit années de pause, Youth Lagoon sort son quatrième album, Heaven Is A Junkyard, dans lequel il prend un virage terrien et folk inattendu qui pourra déstabiliser ses fans de la première heure, conquis par la sophistication psychédélique des précédents. Cette épure permet surtout au songwriter américain de signer un opus brillant, atmosphérique et poétique, dont l’intégrité ne peut laisser indifférent.

Manque de confiance, démons intérieurs… Trevor Powers a longtemps eu besoin du projet Youth Lagoon pour avancer. Mais à la sortie du troisième album, Savage Hills Ballroom en 2015, l’évidence lui saute à  la figure : rien de ce qu’il fait n’a de sens. S’il estime encore un peu sa musique, il méprise ses mots. Sous son propre nom, il s’éloigne de ses productions pop délicieusement structurées pour des créations beaucoup plus cérébrales et expérimentales. 

Mais quelque chose change en 2021, après qu’un empoisonnement involontaire (par une automédication hasardeuse) lui fait perdre l’usage de ses cordes vocales. Ces craintes nouvelles pour sa vie rebattent les cartes de ses angoisses. Revenu chez lui en Idaho, il donne une priorité nouvelle à ce qu’il a sous les yeux. L’essentiel est là, et non dans des concepts inatteignables. Le propos, plus resserré, n’est pas plus radieux : certes, Heaven Is A Junkyard reste aussi désabusé que ses précédents opus, mais l’album, musicalement épuré, gagne en intégrité, en corps. Trevor Powers parle lui d’honnêteté.

Sorte de cowboy anxieux et blasé, Powers nous raconte ces vies de dénuement, dans une Amérique aux grands espaces irrémédiablement épuisés. ‘Le paradis est un dépotoire, mais c’est ma maison’, conclut par exemple Powers dans le magnifique The Sling, sorte de déclaration d’amour contradictoire, résigné qu’il est, désormais, à trouver son bonheur dans l’insignifiance. Sa démarche le fait dorénavant ressembler à tous ces génies qui flirtent avec l’americana sans en avoir l’air, de Sufjan Stevens à Mount Eerie ou Amen Dunes, un positionnement à la lisière du système, un oeil critique, un sens mélodique hors du commun, une maîtrise des sous-entendus, un langage universel.

Les points communs avec le Amen Dunes de Freedom sont les plus flagrants. Une intro dans laquelle surnage une voix d’enfant, le retour chez soi, la résilience avec le passé familial, la figure tutélaire du père, un brin de mélancolie et une grande clairvoyance de l’état de délabrement de nos civilisations lui inspirent pourtant des ballades douces et décomplexées. Heaven Is A Junkyard conserve le vibrato aux limites de la justesse si identifiable de son auteur, mais tous les effets passent désormais au second plan.

Tout l’album est désormais bâti autour d’un piano-voix à la sensibilité extraordinairement maîtrisée, et toute la première moitié de l’album enchaîne les singles (Idaho Alien, Prizefighter, The Sling) comme des perles, la virgule aérienne et instrumentale Lux Radio Theatre concluant idéalement cette irrépressible montée. Mais la voix se fait ensuite plus fatiguée, la musique, qui réintègre les machines devient pourtant moins inspirée sur Deep Red Sea, Trapeze Artist et Little Devil In The Country, intéressants cependant pour la part donnée à des percussions complexes toutes en ruptures.

C’est quand le compositeur reprend un parti plus exigeant qu’on retrouve le génie expérimental de Youth Lagoon. Mercury et Helicopter Toy empruntent volontiers à Son Lux l’art délicat des juxtapositions et des jonglages percu/mélodie/voix les plus audacieux, alternant le chaud-froid, les aplats  lourds et les pluies d’arpèges célestes. Si le paradis est ce dépotoire que Powers nous vend, on se plaît à penser que tant qu’il sera peuplé de musiciens comme lui, il sera toujours possible de rendre son enfer presque vivable.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Idaho Alien, Prizefighter, The Sling, Mercury, Helicopter Toy


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