Young Fathers – ‘Heavy Heavy’

Young Fathers – ‘Heavy Heavy’

Album / Ninja Tune / 03.02.2023
Soul pop expérimentale

Solaire. Voilà le premier mot qui vient à l’esprit dès les premières minutes d’écoute de Heavy Heavy, le quatrième album des trois écossais qui ont pris d’assaut nos oreilles il y a tout juste dix ans. Une décennie au cours de laquelle Alloysious Massaquoi, Kayus Bankole et Graham Hastings ont tracé une route claire, exigeante et sans compromis, sautant à grandes enjambées du hip-hop lo-fi teinté de sonorités punk et électro à une quasi-pop indé expérimentale, au gospel, en passant par le R’n’B ou la soul, le tout baigné d’influences ouest-africaines. Ce tissage subtil, ce sautillement incessant d’un monde à l’autre, qui pourrait s’avérer casse-gueule pour d’autres formations, ne l’est jamais chez eux, tant ils s’y adonnent avec une franchise et une énergie désarmantes. Et une cohérence implacable d’album en album. Si chacun de leurs opus possède sa propre identité, notamment Cocoa Sugar (2018) qui marque un tournant stylistique et esthétique dans leur discographie vers quelque chose de plus épuré (certaines mauvaises langues diront ‘commercial’), leur son reste néanmoins instantanément reconnaissable entre mille sans jamais se montrer redondant.

On pourrait penser qu’avec Heavy Heavy, album – osera-t-on le dire – ‘anniversaire’, les Young Fathers se seraient assagis ou, du moins, se reposeraient sur leurs lauriers (bien mérités, soit dit en passant). Néanmoins, on aurait tort de confondre assagissement et apaisement. Car c’est bien un album apaisé qu’ils nous offrent ici. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le feu crépitant qui sous-tend leur discographie n’a pas disparu pour autant. Cette hargne a simplement pris une autre forme, a muté vers une sorte de sérénité, de puissance tranquille. Le feu n’est plus celui d’un cocktail molotov mais celui d’un soleil porteur de vie, divin, enveloppant, spirituel.

Sorti chez Ninja Tune comme son prédécesseur, Heavy Heavy est peut-être l’album le plus ‘construit’ et le plus optimiste de Young Fathers. Là où leurs autres opus nous baladaient volontiers d’un univers à l’autre, ici la progression semble plus étudiée, plus délibérée. ‘Caught in the light/Like a sun to the ocean‘ et ‘These hands can heal‘, scandent-ils sur le morceau d’introduction, Rice, sur un fond de percussions dont les basses profondes nous appellent, hypnotiques, comme si elles nous tendaient une main rassurante vers un voyage mouvementé mais dont l’issue sera radieuse, c’est promis. Mouvementé mais plein d’espérance, c’est le cas avec I Saw, parade martiale et victorieuse aux accents blues-rock; Drum et sa locomotive de beats ultra-contagieux; Sink or Swim, trépidant appel à l’action aux pulsations implacables; ou encore l’extraordinaire Holy Moly, qui s’emballe comme un cœur fougueux et impatient. L’influence gospel et soul n’a jamais été aussi présente et assumée, parsemée ici et là au fil des morceaux. Tell Somebody, avec ses nappes d’orgue superposées et ses chœurs angéliques, ne détonnerait pas dans une église. Malgré les breakbeats impétueux qui l’introduisent, Shoot Me Down évoque ensuite le rythme chaloupé d’une chorale gospel futuriste. Egalement très influencé soul et trip hop, comment ne pas citer Geronimo, qui flirte allègrement avec le kitsch, pas très loin, disons-le franchement, des plus sirupeuses envolées de Coldplay. On lui préfèrera peut-être l’inattendu Be Your Lady, qui clôture l’album et réussit l’improbable fusion d’une ballade soul queer à la Frank Ocean et d’un délire house bruitiste, ainsi que le bien-nommé Ululation, hymne étincelant, transe joyeuse qui entre en résonance parfaite avec le puissant visuel de la pochette, imaginé par le photographe David Uzochukwu, qui a également réalisé deux très beaux clips pour cet album (I Saw et Tell Somebody).

On parle souvent d’ ‘album de la maturité’, terme galvaudé s’il en est. Pourtant, en dépit de tout, il semble ici retrouver de son sens. Les Young Fathers ont mûri et, sans pour autant oublier leur jeunesse trépidante, ont su apprivoiser ce lourd poids des responsabilités, qu’elles soient personnelles ou artistiques. Ce poids, ils font le choix de le transcender, de le soulever à bout de bras vers la lumière d’un avenir qui sera, espérons-le avec eux, moins heavy heavy.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE

Rice, I Saw, Ululation, Holy Moly, Be Your Lady


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