
02 Avr 24 You Said Strange – ‘Trade Your Soul’
Ep / Exag / 29.03.2024
Cold pop psyché
Moins d’un an après la sortie de Thousand Shadows Vol.II, You Said Strange revient avec un EP dont le titre est également celui d’un des morceaux de l’album pré-cité, Trade Your Soul, proposé ici dans deux nouvelles versions : l’une, alternative, reste assez proche de l’originale, l’autre part dans une nouvelle direction, plus agressive et marquée cold-wave, présence de Marvin Borges (bassiste-chanteur de Structures) oblige. Ce dernier avait déjà suppléé en concert la défection de Martin Carrière juste avant la tournée qui suivit la parution du deuxième album de la formation normande; ici, il est l’un des signes d’une nouvelle direction musicale qui se poursuit assez nettement sur Dance For One et Where I Found The One, deux des trois inédits présents sur cet EP, caractérisée par un son plus dur, froid et électronique qui sied particulièrement bien à la voix d’Eliot Carrière, ferme et étrangement lointaine.
Sur les deux premiers albums de You Said Strange, la combinaison des voix des deux frères Carrière maintenait l’attention sur l’horizontalité de leur échange, permettant ainsi d’apprécier les subtiles harmonies vocales en découlant. Mais maintenant, le groupe devenu par la force des choses trio et entérinant visiblement cet état de fait, place en son centre le chant d’Eliot, d’une dense gravité plongeant l’auditeur dans une certaine profondeur, non dénuée parfois de noirceur, donnant à la musique du groupe une épaisseur nouvelle, comme si elle s’engageait dans l’exploration d’une intériorité complexe et tourmentée. Dans le même temps, l’instrumentation dégage des espaces à l’intérieur desquels sombrer, en cadrant toutefois l’ensemble par une rythmique plus sèche et mate comme si, au moment de se livrer à l’introspection, nous étions ramenés à la dimension salutaire des mouvements du corps.
Chaque titre est marqué par cette dualité, mais plus particulièrement la première version de Dance For No One qui, avec sa rythmique martiale et ses sonorités indus, pousse à une danse brutale, guidée par une mélodie vocale inquiétante de neutralité. La seconde version, plus atmosphérique et tortueuse dans son développement, n’éclaircit pas tout à fait l’ambiance générale, mais parvient malgré tout à donner l’impression d’une ouverture sur quelque chose d’assez vaste – quoique peu rassurant – à l’image de notre avenir commun. My Own God, single annonçant ce nouvel EP, pourrait faire la transition avec le You Said Strange ancienne manière, grâce à sa mélodie apparemment plus enjouée, mais l’instrumentation, là encore, montre que le groupe est dans une dynamique de changement qui le voit laisser de côté les atours psyché pour s’envelopper de couleurs plus sombres. Where I Found The One, le dernier morceau, est une balade qui rappelle le traitement gothique que le trio imposa à I’m So Lonesome I Could Cry d’Hank Williams à la toute fin de sa dernière tournée, mais gagne en clarté avec des guitares qui glissent du côté des Cocteau Twins.
Ces six nouveaux titres de You Said Strange présentent la mue fascinante et très convaincante du groupe de Giverny en trio, resserrant les rangs autour d’une rythmique plus sévère, permettant aux autres instruments d’ouvrir l’espace sonore vers des contrées dans lesquelles règne une obscure incertitude qu’Eliot Carrière, Hector Riggi, et Matthieu Vaugelade semblent être prêts à affronter, ensemble, sans sourciller.
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