Yo La Tengo – ‘This Stupid World’

Yo La Tengo – ‘This Stupid World’

Album / Matador / 10.02.2023
Shoegaze

Que dire de Yo La Tengo après 40 ans de carrière ? La montée de guitare épique et répétitive sur We’re an American Band, la basse infiniment suave sur Night Falls on Hoboken, les passages grunge déconstruits rappelant les envolées parfois brutales d’un Neil Young électrifié, et toujours un retour à la simplicité, un respect pour le silence et ces moments de clarté nocturne où les sens peuvent enfin s’ouvrir, et où l’on peut prendre le temps de regarder à l’intérieur de soi (Our Way To Fall et Green Arrow, par exemple) – autant de moments musicaux à l’ingénuité musicale envoûtante qu’on prend plaisir à revisiter. Samba-rock, shoegaze psyché implosif, noise déconstruit, punk nerveux – YLT est aussi connu pour sa célébration annuelle marathon d’Hannuka avec, l’année dernière, huit dates consécutives à New York City, invitant chaque soir une première partie surprise (Sun Ra Arkestra pointa le bout de son nez). ‘I contain multitudes‘ comme disait Dylan.

Néanmoins, dans l’univers du rock indépendant, Yo La Tengo tient une place plutôt similaire à celle du WD40 dans les boîtes à outils du monde entier. Tout d’abord parce que la formule chimique n’a jamais vraiment changé : formation stable, le trio est composé des époux Ira Kaplan et Georgia Hubley depuis 1984, et du bassiste James McNew depuis 1992 et dont la présence, comme le disait Kaplan à Marc Maron il y a peu, rajouta une certaine grâce aux compositions plutôt nerveuses jusque-là. Ensuite, tout comme l’huile pénétrante américaine utilisée sous forme de spray, parce que le groupe du New Jersey est resté relativement oblique par rapport aux tendances marketing du moment, simplement content d’exister, gardant un public stable de connaisseurs. ‘Je n’ai pas le talent de créer un hit‘ disait de toute façon Ira Kaplan dans la même interview (ce dont on peut douter – c’est plutôt l’envie qui lui manque). YLT est aussi un groupe qui se découvre généralement sur le tard. Un groupe fait d’introvertis, faisant de la musique pour introvertis, et dont les ballades sont la résultante de cette joie simple de jouer ensemble.

This Stupid World est leur premier LP de morceaux originaux depuis There’s a Riot Going On (2018) et, bien qu’on puisse deviner le ton sur la base du titre, la confirmation arrive dès les premières secondes de Sinatra Drive Breakdown où l’on découvre immédiatement l’ambiance ciaroscuro qui restera prégnante jusqu’aux dernières notes de l’album : des guitares grincheuses et nouées suivies de l’arrivée des voix du duo Kaplan et Hubley, doucereuses et mélodiques en parfait contre-point avec la bagarre d’arrière-plan.

Fallout est particulièrement caractéristique du son si singulier du trio, et leur vaudra peut-être à nouveau d’être comparé à Sonic Youth : une chaleur envoûtante, un univers privé, précieux, sacré où les guitares distordues s’enchevêtrent avec les voix pour tisser une mélodie harmonieuse alors que les paroles, en contre-point, suggèrent le sentiment d’échec et la volonté de disparaître (‘I won’t tell you how it’s gonna be; I don’t have what you want from me; I want to fall out of time […] Fall out of time‘).

Tonight’s Episode répond à la question ‘que donnerait un mélange de shoegaze dronique si on y ajoute une rythmique motorik krautienne?’, tandis que la sompteuse Aselestine continue une longue tradition de chansons paisibles, tirant un maximum de la voix consolante de Georgia Hubley accompagnée ici par une slide guitare onirique. Les paroles, quant à elles, décrivent l’état d’une personne seule, interrogeant le silence en attendant qu’un être cher ne revienne. Apology Letter est dans la même lignée.

Océan épique de crissements de guitares où les voix du trio naissent telle une île volcanique, un refuge miracle, This Stupid World fusionne parfaitement son fond et sa forme au sein d’un hymne post-rock : ‘This stupid world; It’s killing me; This stupid world; Is all we have‘. L’album se termine par la crépusculaire Miles Away. Mèlant trip-hop et musique ambiante, on pense notamment à Julie Cruise, This Mortal Coil ou Beach House. ‘You feel alone; Friends are all gone; Keep wiping the dust from your eyes; So many signs; I must be blind ; How few of them I see‘. Beaucoup de solitude donc, et une ambiance de fin du monde. A croire que c’est dans l’air du temps.

YLT prouve qu’il est possible pour un groupe de rock d’évoluer tout en gardant un cap artistique clair et personnel en restant fidèle à soi-même. Pas besoin de grosses déclarations, ni de s’associer au producteur du moment afin de générer un album singulier : il suffit juste de faire – avec ses amis, avec ses mains. Les actes parlent plus que les mots. Tout simplement.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Fallout, This Stupid World, Miles Away, Aselestine


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