
15 Mai 25 Yard – ‘Yard EP’
EP / Autoproduction / 13.05.2025
Electro punk
Qu’arrivent-ils aux Irlandais, qu’ils soient du nord ou du sud, pour enfanter, ces dernières années, l’une des musiques les plus agressives, troublantes et finalement excitantes que l’on connaisse ? Sans doute que l’argent qui coule à flot sur leur île, depuis que celle-ci est devenue une terre d’accueil très rentable pour les grandes multinationales, ne ruisselle pas sur tout le monde, engendrant de facto et comme partout ailleurs dans le monde, frustration, colère, indignation. D’une certaine manière, ce sont ces réactions incontrôlées à un monde en crise qui transparaissent dans les expérimentations saisissantes et éprouvantes de Gilla Band ou dans les explosions de rage de Gurriers, et ce sont elles encore que révèlent les assauts technoïdes des nouveaux venus de Yard. Le trio arpente l’Europe depuis quelques mois déjà, et il s’est même imposé haut la main comme l’une des révélations des dernières Transmusicales, laissant exsangue une foule ébranlée par la force de frappe de son set méchamment dansant. Il distille également au compte goutte, depuis 2022, des singles puissants mais disparates, de l’impitoyable Lawmaker à l’excitant ECDYSIS, entrechoquant rock et électro avec une maîtrise et une efficacité spectaculaires. Comme leurs compagnons de route de Chalk mais en plus techno, Emmet White (chant, claviers, ancien bassiste de Gurriers), Dan Malone (Guitare) et George Ryan (claviers, beats) s’imposaient jusqu’alors non seulement par la qualité de leurs compositions, mais également par leur capacité à les agencer en live avec un sens de la dramaturgie stupéfiant. Manquait juste un équivalent discographique témoignant sur une durée suffisamment longue – et ainsi révélatrice – de la cohérence et des marqueurs essentiels de leur démarche artistique, et c’est chose faite avec ce premier EP éponyme. En quatre titres, l’identité musicale des Dublinois se déploie, impressionnante dans son impact rythmique, intrigante et fascinante par les ambiances désolées qu’elle installe avec une grande richesse musicale, terrifiante autant que stimulante par sa manière de faire du hurlement un véritable chant.
Le monumental Trevor ouvre le bal, à coup de beats percutants et de vagues menaçantes de synthés. On se retrouve embarqué dans une quête désespérée (‘Have you seen Trevor ? I’m checkin’ outside’), confronté au silence du monde et à l’angoisse de la perte (celle d’un vélo affublé d’un prénom humain, en réalité), lancinante. La tension monte d’un cran avec Appetite : la rythmique pilonne sans pitié, le chant hystérique fait surgir des pensées obsédantes, jusqu’au bord de la folie. Dans un registre similaire, l’instrumental Slumber s’y entend pour générer un climat de paranoïa rampante, gagnant progressivement en intensité, et s’achevant dans le délire psychotique de Sunlight lequel, à partir de murmures et de petites touches électroniques peu rassurants, finit dans un déluge de hurlements et de basses surpuissantes.
Ce premier EP de Yard explore de façon remarquable nos désarrois contemporains. Les couches de synthés symbolisent à la perfection l’hostilité des environnements urbains dans lesquels nous évoluons, les percussions électroniques ont ce caractère massif et brutal qui caractérise aussi l’impact des événements catastrophiques dans lesquels nous sommes embarqués, les lacérations noise de la guitare traduisent les convulsions qu’entraînent les multiples agressions du quotidien, enfin, la voix qui a fait du cri son mode naturel d’expression révèle une réaction spontanée mais déterminée à l’hostilité du monde. Il y a dans cette musique quelque chose qui ressemble à la fois à une prise de conscience, à une catharsis et à un mouvement de révolte, ce qui fait de Yard, finalement, un jardin de la résilience, où l’on danse farouchement, les poings serrés.
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