04 Oct 24 Xiu Xiu – ’13 » Frank Beltrame Italian Stiletto with Bison Horn Grips’
Album / Polyvinyl / 04.10.2024
Noise pop expérimentale
Depuis ses débuts il y a maintenant 22 ans, Xiu Xiu oscille entre la pop et les recherches sonores et soniques. Ces dernières années, la tendance bruitiste et expérimentale a souvent remporté le bras de fer, la formation rejetant toute forme de calibrage pop culturellement hérité d’une conception occidentale et réductrice de la musique. Pourtant, c’est dans le parfait équilibre entre ces deux pôles que le groupe a sorti ses albums les plus emblématiques, de Fabulous Muscles à Women As Lovers en passant par The Air Force.
Entendons nous : par ‘pop’, on se réfère ici plutôt à un ensemble de structures et de rythmiques établies, plus qu’à des titres ambitionnant une diffusion en boucle sur les radios nationales. Reste que quand Xiu Xiu se plie au jeu du calibrage et conjugue ses expériences sonores, sa faculté à attraper l’auditeur par des sons dont il est le seul à avoir le secret et des structures aux contrastes extrêmes – un couplet susurré précédant un refrain en forme de coup de poing dans la face – fait mouche instantanément. Touché-coulé, le game est plié.
Common Loon, le single annonciateur de l’album, vient nous péter au visage dès les premières secondes, drainant toute la hargne et l’agressivité contenue de ses auteurs et la synthétisant dans un riff et une orchestration Lo-Fi de haute voltige. Comme si l’angoisse existentialiste de Jamie Stewart ne pouvait plus se contenter de longues plages expérimentales, et nécessitait une catharsis tambourinante. La formation est aussi unique que talentueuse quand elle s’aventure sur les terrains de l’exutoire, et nous transmet ses angoisses et sa misanthropie avec une efficacité telle qu’elle pourrait presque être incriminés pour incitation à la haine ou à la rébellion. Il y a longtemps d’ailleurs qu’en écoutant les albums de Xiu Xiu, on cherchait cette veine de l’exutoire pour un kick cathartique. Le groupe n’est jamais aussi bon que quand il pète les plombs et, depuis l’album Forget (2017) qui offrait des perles en guise de cocktail molotov, on pouvait penser qu’il s’était quelque peu assagi, avait intellectualisé son rapport à la musique. Non pas que ses dernières sorties soient dépourvues d’intérêt, mais on ne retrouvait plus son coup de cran d’arrêt signature. Depuis exilé à Berlin, Xiu Xiu a renoué avec son côté tranchant comme avec ses sommets passés, au point de donner à son nouvel album le nom d’un couteau. Comment mieux définir son identité sonore qu’en écoutant Veneficium, ses sons de synthés déformés sonnant comme des trompettes pitchées pour jeu vidéo 8-bits, aussi joyeux qu’apocalyptiques, quelque part entre Mario Paint et le traité du désespoir de Kirkegaard.
L’univers du trio peut sembler opaque, surtout pour un auditoire qui ne le connait que via ses récentes sorties. A ce titre, son nouvel opus est une invitation à le rejoindre dans sa folie créatrice, destructrice. Pour peu qu’on accepte sa sollicitation, on placera l’expérience qui en découle au-dessus de tout ce qui se fait en indie ces temps-ci : de Arp Omni donnant l’impression d’être sédaté à la crise d’hystérie narcissique, jusqu’à Piña, Coconut and Cherry, tout parait plus dense, plus intense, plus dingue qu’ailleurs sur ce 13″ Frank Beltrame Italian Stiletto with Bison Horn Grips . Où trouver dans le paysage musical indie l’intensité sensorielle d’un Sleep Blvd, dont les couplets agissent tels des anxiolytiques et où les refrains font l’effet d’une prise d’amphétamines ? Il y a un rapport à l’intime, aux anxiétés, une manière pour Jamie Stewart de mettre sa peau sur la table qui font de ce nouvel album de Xiu Xiu un compagnon de route pour le versant désaxé de chacun de nous. Quand on sait la puissance que peut dégager le trio sur scène (David Kendrick ayant rejoint pour de bon Angela Seo et Jamie Stewart aux percussions), on ne peut que se languir de le retrouver sur sa tournée à venir, ou l’on ira comme on se rendrait à un office religieux dont la visée ne serait plus la communion mais le pétage de plombs.
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