19 Avr 24 W!ZARD – ‘Not Good Enough’
Album / A Tant Rêver du Roi / 12.04.2024
Post punk noise
Un univers domestique harmonieux et apaisant : ‘Our place is a beautiful house / With large windows letting the light in / Letting the light from a green garden full of trees…’. Les bruits de pas d’enfants qui jouent à l’étage résonnent, ils vont descendre l’escalier pour vous rejoindre et célébrer le bonheur familial dans ce qu’il a de plus touchant. La bande-son pour cette image d’Épinal ? Stridences, basse sur-saturée, batterie en mode marteau-piqueur, intensité étouffante, obsession monotonale de lignes que l’on n’oserait même pas qualifier de mélodiques, voix qui déraille dans un délire psychotique… À faire passer Gilla Band pour un aimable tribute band qui reprendrait ABBA ou les Bee Gees. On attend avec frayeur le passage à l’acte meurtrier de ce personnage prisonnier d’un environnement trop idéal pour être honnête, ainsi dépeint dès l’entame de Beautiful House. Un taré qui ne sera que le premier d’une lignée de névrosés en tous genres peuplant les sillons de Not Good Enough…
Cette première épreuve passée, on se dit que W!ZARD est là pour nous en faire baver tout au long de ce nouvel album, à l’image de son premier extrait officiel Jack Is A Sociopath, autre titre zinzin dans lequel les compteurs virent fissa au rouge cramoisi – y compris pour les borborygmes incompréhensibles surgissant sur son pont faussement calme, suintant une folie qui est tout sauf douce. Sauf que l’affaire s’avère bien plus retorse et complexe pour l’inspecteur-chroniqueur en charge du dossier. Les cadavres sont bien sortis du placard, entourés de lignes de craie là où ils sont tombés comme des mouches, les rubalises habituelles indiquant les mots post-punk-noise-post-hardcore-attention-pour-oreilles-averties au quidam innocent, qui serait passé là par hasard. Mais ce quidam innocent – du genre à fréquenter les centres commerciaux la semaine, et à se trémousser sur une piste de danse le week-end – ce quidam au-delà de tout soupçon, donc, ne serait-il pas le véritable coupable de ces meurtres musicaux en série ?
En atteste le second extrait de Not Good Enough, Stupid Cunt In The Mall, rempli de clins d’œil electro-synthétiques et dansant comme un vieux tube de Justice. Depuis Crack Cloud, on sait qu’un certain vocabulaire rythmique généralement émis pour faire les courses ou bouger les popotins peut fort bien s’accorder à un rock dit ‘extrême’. Et ce n’est pas le coupé-décalé ici joué par W!IZARD qui ira contredire la nouvelle tendance – quand bien même celle-ci aurait sa dose d’auto-ironie. Ego Box, qui braconne sur les terres de Squid et Rank-O avec une morgue certaine, enfonce un clou similaire. Et si, finalement, les serial killers à l’œuvre dans Not Good Enough étaient des styles plus pop, bien sous tous rapports, mais pervertis par les effets de pedalboards, les shreds frénétiques, et les coups de semonces régulièrement assénés par le trio bordelais ?
W!ZARD est comme ça, lala lala : jamais là où on l’attend. ‘Virage en épingle’ est un terme bien plat pour décrire les multiples retournements de situation opérés au sein de son dernier disque, soulignant la désorientation permanente de sa galerie de personnages, tour à tour agités ou neurasthéniques, perdus au milieu d’un flot d’informations contradictoires, jamais en adéquation avec le monde qui les entoure, jamais assez bien pour être, ouvrez les guillemets, ‘normaux’. Il en découle un sentiment d’impuissance ou de frustration qui peut autant entraîner un déferlement de violence qu’une mélancolie sourde, à l’aune de nos tristesses contemporaines. Au-delà de son rythme imparable, ce qui rend Stupid Cunt In The Mall si marquant, c’est sa profusion d’harmonies mineures à la guitare, soulignant le désespoir que cachent les gesticulations hystériques de son protagoniste. Au-delà de sa scansion post-punk habituelle, ce qui rend Private Garden si accrocheur, c’est son riff de guitare lancinant et circulaire, très indie-rock, suggérant une alcôve dans laquelle on vient se lover pour ne pas avoir à se confronter au réel. Avec la ballade pop I Can’t Feel The Pain, sa structure classique couplet-pont-refrain et ses voix soyeuses à la Interpol, Romain Arnault, Manuel Cayla et Julien Bordenave osent même des élans si émotifs – voire naïfs – que le doute s’installe : le personnage esseulé de cette chanson, coincé dans son déni solipsiste et dépressif, ne serait-il pas le plus dangereux de tous ceux qui hantent l’album ?
Tout comme l’indique le titre du disque qu’elle est censée décrire, cette chronique-enquête n’est pas assez bonne non plus. Pas le temps de s’attarder en profondeur sur les indices laissés par la production fouillée d’Amaury Sauvé, qui transcende tout autant les dynamiques massives en mode rouleau-compresseur que les discrets fredonnements ou sifflements des vocalistes, ou encore les tressautements inopinés d’une basse soudain prise de tics obsessionnels. Pas le temps non plus de s’attarder sur un bon nombre de titres déclinant encore autrement l’ambiguïté intrinsèque de cette musique-là – des titres ironiquement tous aussi bons les uns que les autres. Tout juste se permettra-t-on de placer qu’Anger Issues opère une synthèse inattendue entre Protomartyr et Lysistrata, et Thief Knot celle reliant la gouaille de Bodega et la lourdeur industrielle des Daughters. DITZ n’est jamais loin non plus, ainsi que Metz ou les Psychotic Monks – ces trois derniers groupes ayant déjà fait l’honneur aux Bordelais de les laisser ouvrir pour eux. Mais ce petit jeu des références reste vain. À partir de Not Good Enough, W!ZARD restera définitivement seul, à part. Plus qu’une malédiction, parions que ce sera une force pour eux à l’avenir. N’en déplaise au chroniqueur-inspecteur, qui aura toujours un petit truc qui le tracasse pour décrire ce qui ne tourne pas rond chez eux.
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