12 Oct 18 William Basinski & Lawrence English – ‘Selva Oscura’
Album / Temporary Residence / 12.10.2018
Ambiant
En août 2001, William Basinskyi – musicien expérimental basé à Brooklyn – vit dans la misère la plus complète. Prêt ‘à s’ouvrir les veines‘ selon ses propres dires, il décide néanmoins de passer des cassettes d’enregistrements de synthé en boucle afin de les digitaliser et de voir ce que cela pourrait donner. Il va chercher un café mais, quand il revient, la mélodie à trois notes a curieusement changé. Il découvre alors qu’à mesure de passer devant la tête de lecture, les bandes magnétiques se désintègrent peu à peu, créant au passage un son d’une beauté rare.
Trois semaines plus tard quand il se réveille, le musicien remarque à travers sa fenêtre que, telle une allumette, l’une des tours jumelle du World Trade Center est en feu, invite ses amis pour profiter de la vue imprenable de son toit, et pose alors une caméra. Basinski monte le son de ses enregistrements remplis de grâce au volume maximum alors que dans les heures qui suivent, lui, ses amis et le monde entier contemplent avec effroi l’événement le plus marquant du 21ème siècle. C’est ainsi que The Disintegration Loops devint l’ultime élégie pour le 11 septembre : une œuvre d’art aux mélodies mélancoliques, résultat d’une désintégration fortuite qui résuma à elle seule l’éclatement du monde et les changements de valeur profonds entamés par cet événement ; œuvre d’art qui amena évidemment William Basinski sur le devant de la scène, bien que seulement dix ans plus tard lors d’une réédition bien méritée.
De son côté, Lawrence English créait il y a maintenant 18 ans le label australien prolifique Room40. Son travail, qui privilégie les enregistrements de terrain (sons d’oiseaux transformés, hydrophones embarqués en mer) a marqué les esprits, notamment A Color For Autumn, Wilderness of Mirrors et Cruel Optimism plus récemment. Artisan du son, English a notamment collaboré avec Liz Harris (Grouper) ainsi que Ben Frost pour ne citer que les plus connus.
Bien qu’ils se connaissent depuis des années, l’australien et l’américain nous présentent ici leur première collaboration. Titré Selva Oscura (tournure tirée de la Divine Comédie de Dante qui signifie ‘forêt obscure’) et composé de façon simultanée entre Brisbane et Los Angeles, l’album cherche à décrire à la fois le sentiment de celui ou celle qui se trouve sur un chemin peu familier, et le fait de perdre ses repères temporels et géographiques.
Premier titre de l’album, Mono No Aware nous transporte au fond d’un océan chaud, d’un liquide amniotique primal et contemplatif. Un état d’éveil paisible où règne simultanément une puissance toute sanguine. La seconde piste qui porte le nom de l’album est plus sombre. Elle emmène l’auditeur dans une futaie tonitruante d’échos où apparaissent des nappes éthérées suivies de coups lointains et de chants d’oiseaux. Mais tout ceci est interrompu vers les six minutes quand un drone menaçant surgit de nulle part et enveloppe le tout. Tel un morceau de métal frappé de nombreuses fois, ce drone retentit et bourdonne pour ensuite disparaître dans un flot d’émotions apaisantes.
Dédié au réalisateur expérimental californien Paul Clipson qui s’est éclipsé de façon inattendue en février dernier, Selva Oscura nous fait voyager sur de nouveaux territoires auditifs. Bien que tout ait été créé avec labeur, on se sent face à des ambiances sonores familières, et c’est peut-être cela, la belle contradiction de cet album à découvrir.
A ECOUTER EN PRIORITE
Mono No Aware
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