
08 Oct 23 Wilco – ‘Cousin’
Album / dBPM / 29.09.2023
Pop country
Cate Le Bon produisant Wilco, sur le papier, c’est quasiment l’union des contraires. D’un côté l’élégance froide de l’artiste galloise, maintenant le public à une distance lui permettant d’apprécier pleinement sa pop ultra stylisée ; de l’autre, l’intimité avec l’auditeur que produit instantanément la voix de Jeff Tweedy, fredonnant depuis de nombreuses années les émouvantes et parfois déchirantes confessions d’un adulte ayant toujours préservé en lui l’adolescent qu’il a été, affecté par l’évolution du monde certes, mais n’ayant jamais perdu la sincérité et la fraîcheur de ses premiers attachements. Pour peu que l’on soit fasciné par ces deux univers apparemment antagoniques, mais tous deux mus inexorablement par ce désir de faire surgir la beauté en ce monde, leur rencontre ne pouvait qu’emballer l’imagination et exciter la curiosité.
Les deux singles qui précédaient l’album, Evicted et le titre éponyme Cousin montraient déjà une approche moins organique de la musique : le chant de Tweedy au centre, dégageant sa douce et mélancolique chaleur, et tout autour un traitement plus analytique des instruments, structurant la mélodie avec une précision permettant d’en décupler les potentialités. Ce n’était pas tout à fait ce à quoi nous avions été habitués avec Wilco, même si les albums les plus pop du groupe, Summerteeth en tête, avaient déjà démontré son talent pour ciseler des chansons capables d’imprégner durablement dans nos mémoires leurs refrains efficaces mais néanmoins délicats. Mais on le sait bien, Wilco n’a jamais été fidèle à un genre, un style, ou une formule : prompt à innover, il parvenait néanmoins à assurer, grâce à la voix de Jeff Tweedy, toujours au plus près de qui l’écoute, une évidente continuité d’un album à l’autre.
On pouvait également se douter qu’il ne s’agirait pas pour Cate le Bon d’enregistrer de la country, de la folk ou du rock traditionnel sans retraiter ces genres, aussi accompagne-t-elle Wilco sur le chemin de l’expérimentation, déjà frayé dans un glorieux passé. Et c’est ainsi que l’on retrouve également sur Cousin des titres au déroulement moins linéaire, introduisant des effets sonores intrigants, comme Infinite Surprise avec ses battements réguliers et routiniers du début, auxquels les crépitements imprévisibles de la fin offrent un habile contrepoint, en symbolisant de façon ludique la surprise. Mais à la différence du chef d’oeuvre Yankee Hotel Foxstrot, ces pas de côté et prises de risques ne produisent pas une angoisse sourde ou une irrésistible tristesse, dans la mesure où la précision redoutable de la rythmique offre aux morceaux les plus aventureux de l’album une solide armature, permettant à la voix de Tweedy d’y délivrer, comme dans un écrin protecteur, sa fragile et bouleversante humanité, sans jamais courir le risque de se laisser déborder par ses propres sentiments. Il suffit, à ce titre, d’écouter Sunlight Ends ou A Bowl and A Pudding pour se rendre compte de la pertinence de la démarche : la douceur et la mélancolie du chant ressortent formidablement en s’adossant à l’ossature rythmique, tandis que les libres bruissements ou coulées de guitares suffisent pour créer une atmosphère contemplative. La production impeccable de Cate Le Bon, permet ainsi à la musique de Wilco d’acquérir une netteté et une pureté la faisant ressembler à un splendide château de verre, diffusant avec une maîtrise bluffante toutes les lumières générées en son sein.
Le rapport à ce dernier album est sans doute moins immédiat, à la différence de Cruel Country, le précédent sorti en 2022, qui savait très rapidement être touchant grâce à de superbes morceaux ancrés dans les traditions américaines. Les thèmes abordés y sont sans doute pour beaucoup – fusillades meurtrières, divisions politiques, amour perdu -, mais la direction musicale reste essentielle pour saisir cet effet de distanciation, lequel offre une forme merveilleusement épurée du groupe de Chicago, épanouissant à la perfection toutes les qualités qui le rendent si précieux. Wilco est ainsi et plus que jamais toujours aussi proche de l’auditeur, lui murmurant à l’oreille ses craintes et ses espoirs, mais il a acquis paradoxalement – en faisant de sa propre faiblesse une véritable vertu – une forme de puissance lui permettant de s’imposer comme une alternative crédible aux passions tristes sur lesquelles prospère le populisme. Et l’on peut alors dire de Jeff Tweedy ce que William Faulkner écrivait magnifiquement dans Sartoris : ‘Et sa voix avait la tranquille fierté des étendards abattus’.
A ECOUTER EN PRIORITE
Infinite Surprise, Ten Dead, A Bowl and A pudding, Soldier Child, Meant To Be
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