26 Nov 24 Warmduscher – ‘Too Cold to Hold’
Album / Strap Originals / 15.11.2024
Rock
On s’est vraiment bien marré, ces dernières années, avec Warmduscher. De concerts totalement cinglés en albums déjantés, les anglais n’ont jamais failli à leur réputation de groupe le plus bizarrement festif de la scène rock. Avec le temps et l’accumulation assez impressionnante de tubes sur lesquels on pouvait tout autant danser de façon classique que pogoter comme des fous furieux, la formation devenait, en live, incontournable lorsqu’il s’agissait de créer le bazar. Presque dix ans après leur début, Craig Higgins (Clams Baker Jr.), Benjamin Romans-Hopcraft (Mr. Salt Fingers Lovecraft), Adam J. Harmer (Quicksand), Quinn Whalley (The Witherer), Marley Mackey (Three Piece aka the Worm), and Bleu Ottis (Bleucifer), sont de retour avec un nouveeau disque qu’une fois encore on ne manquera pas de qualifier d’étrange. Pas une surprise pour qui connaît ces trublions et aurait validé les premières lignes de cet article. Sauf que Too Cold To Hold constitue une étrangeté d’un nouveau type au sein d’une discographie ayant toujours pris un malin plaisir à malmener les règles.
Jusqu’alors, bien que surprenants, les albums des londoniens contenaient quelques invariants : un mélange de styles – électro, post-punk, hip-hop, disco, funk -, souvent différents d’un morceau à un autre, deux ou trois singles imparables dégoupillés sans prévenir pour maintenir l’attention du public. Sur ce cinquième disque, les collisions entre des univers musicaux différents sont toujours provoquées, mais avec l’impression d’une plus grande homogénéité, une même formule étant utilisée avec une certaine régularité, assurant une cohérence nouvelle à l’ensemble. La rythmique répétitive, inspirée du GQOM, un sous genre de house music apparu à Durban en Afrique du Sud au début des années 2010, sert d’ossature aux morceaux, sur laquelle viennent se greffer par couches des éléments jazz, hip-hop, soul ou post-punk, couronnés par les monologues détraqués de Craig Higgins. Le trépidant Immaculate Deception, mélangeant les cuivres tout droit sortis d’un thriller des années 70 et le flow du rappeur londonien Jeshi, est probablement le plus bel aboutissement de cette démarche, aventureuse sans jamais cesser d’être maîtrisée. Mais il faut également compter avec le disco plus classique de Pure At Heart, les incursions soul de BodyShock, assurées par la chanteuse Lianne La Havas, le groove méchamment vicieux du titre éponyme, Too Cold To Hold, ou les guitares plus rugueuses de Staying Alive, parfaites pour mettre en valeur les harangues narquoises servant de mélodie vocale.
C’est peut-être au rayon des singles que l’autre surprise de l’album se manifeste. TopShelf ou Cleopatras n’étaient pas, au moment de leur sortie, de mauvaises mises en bouche, mais n’avaient rien de comparable, en terme d’efficacité immédiate avec Twistin’ In The Kitchen, Midnight Dipper et autres Standing In The Corner. Aucun tube à l’horizon, donc, ce qui ne manquait pas de susciter, au départ, une certaine déception, compensée toutefois, petit à petit, par l’unité, la précision et le plus grand équilibre de la totalité. On a toujours eu l’impression de fréquenter des lieux mal famés avec Warmduscher, mais régulièrement on pénétrait dans des clubs bondés et enfumés pour s’éclater sur le dancefloor, puisant l’énergie nécessaire pour se confronter à nouveau aux dépravations des rues avoisinantes. Too Cold To Hold, lui, nous maintient dans cet environnement inquiétant qui, du même coup, nous paraît bien plus glauque, mais susceptible de révéler, puisque nous ne pouvons plus diriger notre attention ailleurs, toute l’étendue des charmes addictifs et vénéneux de sa marginalité.
Plus que jamais, la musique de Warmduscher s’impose comme urbaine, créant l’illusion d’arpenter de nuit, avec une trouble fascination, des rues livrées aux créatures décadentes d’un capitalisme aveugle et en roue libre. Mais cette fois-ci, les déambulations paraissent maîtrisées de bout en bout. En acceptant de se prendre en mains, y compris en se produisant eux-mêmes, le groupe a peut-être mis sous contrôle sa propre folie, mais cela l’a rendu dans le même temps moins fatiguant, lui permettant de gagner en détermination et efficacité dans l’affirmation sans complexe de sa dérangeante singularité.
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