
27 Avr 25 Viagra Boys – ‘Viagr Aboys’
Album / Shrimptech Enterprises / 25.04.2025
Post punk
‘I need access to heaven‘. Lorsque Sebastian Murphy lance cette complainte à la fois ironique et sérieuse sur Best In Show Pt. IV, dernière mouture de la série jazz-punk chaotique initiée sur Street Worms, il devient à un moment impossible de distinguer sa voix des hurlements du saxophone dément d’Oscar Carls. Aucune erreur de mixage sur ce titre du quatrième album des Viagra Boys, juste le point d’orgue foutraque vers lequel le cirque itinérant des six suédois tendait depuis le jour où ils décidèrent d’unir leurs forces, pourtant contraires sur le papier. Il est au passage assez amusant que cet apex surgisse à l’instant même où Murphy réclame avec urgence de l’aide ‘thérapeutique, spirituelle ou financière‘, se gaussant ainsi de la mode du développement personnel en ligne après s’être aimablement foutu de la tronche des incels conspirationnistes sur Cave World. Dit de cette manière, vous imaginez peut-être que cette chronique va vous dépeindre comment Murphy and co. se contentent une énième fois de tirer sur la corde tissée de sarcasmes, satire et mauvais esprit qui les avait fait sortir de l’anonymat il y a sept ans déjà, sans jamais révolutionner la formule. Il n’en sera rien, toutefois. Parce que, brisons tout de suite le suspense, viagr aboys est de fait un triomphe.
Tout comme certaines séries de portraits sur un seul et unique thème pullulant dans les galeries d’art contemporain, c’est en se répétant que les Viagra Boys ont fini par se réinventer. Pas un hasard si le talent du sidérant Leo Park orne la pochette de ce quatrième album, transformant Murphy en une de ses propres créatures fantasmagoriques. De la même manière, le post-punk discoïde des six faux bras cassés scandinaves a, en enfonçant toujours le même clou de départ, fini par muter malgré lui en quelque chose d’encore plus imprévisible et jubilatoire. Le premier single tiré de ce quatrième album ne laissait pourtant pas entrevoir une évolution aussi marquante. Chanson certes fun et efficace, Man Made Out Of Meat suivait des sentiers somme toute très balisés, en mode The Hives égrenant des riffs sur la rythmique du Song 2 de Blur. Ce titre d’ouverture un peu facile est toutefois un trompe l’œil, un sas de décompression vers un monde beaucoup plus dingo derrière, au charme terriblement addictif. The Bog Body creuse ainsi un champ de tourbe heavy rock pour y déterrer une momie libidineuse se trémoussant au son de claviers zinzins à la Devo. Les flûtes d’Oscar envoient un souffle chaud comme la braise sur le sinueux Uno II, à propos de l’odyssée paranoïaque du clébard de Murphy, envoyé se faire enlever les chicots chez le véto. Elles réapparaîtront sur l’improbable Story Policy, quelques part entre les récentes expérimentations électroniques d’Idles et un DJ set ragga dancehall organisé dans le manoir de la Famille Addams. Dirty Boyz esquisse des notes de synth bass à la Giorgio Moroder pour aller chercher des noises aux passants en ville. You N33d Me bute sur des mesures motorik en 11/8, mais aussi bute tout court. Et Waterboy déroule son imparable et narquois refrain entre chœurs féminins diaphanes, sirène numérique possédant juste ce qu’il faut de putasserie, et redoutables accords de guitares joués ‘palm mute’, à la dentition impeccable.
Avec autant de bangers, on se retrouve donc avec la tracklist la plus solide jamais livrée par le groupe en studio. Une œuvre pop-art dans l’âme, rots et glaviots inclus. On parle après tout d’un album éponyme visant (pour rire ?) le statut de ‘magnum opus’, même si la faute de frappe laisse entendre qu’il restera toujours quelque chose de rock et déglingué dans cette galerie de monstres souvent repeinte par la production aussi foisonnante que pointilleuse de l’habituel complice Pelle Gunnerfeldt, très loin de Fireside ici. ‘Il est sympa, mais c’est un peu un emmerdeur‘, nous a, en substance, confié Murphy lors d’une récente interview. Non pas que le frontman américain ait l’air de cracher dans la soupe en lançant cette petite vanne. Enfin, pas plus que d’habitude. Le mec ne fait que se marrer de ce qui lui arrive, comme il se marre de l’absurdité de l’intertexte contemporain.
Depuis qu’il est devenu l’œil du cyclone Viagra Boys, Sebastian a en effet appris à se laisser porter, mais aussi à apporter sa touche unique quand il le faut. Ce coup de pinceau acquiert même des couleurs inédites sur quelques pièces champêtres du style de celles déjà trouvées sur Welfare Jazz, qui avaient malheureusement été un peu trop mises de côté sur Cave World. Mi-Ween, mi-Beck des premiers albums, la folk downtempo de Pyramid Of Health permet à Murphy de raconter avec un stoïcisme de vieux bluesman comment sa rédemption passera désormais par l’achat de babioles new age en ligne. À l’inverse, c’est avec une voix sobrement brisée par l’émotion qu’il lance un chant d’amour à sa moitié sur le mélancolique Medecine For Horses, qui sonnerait presque comme du Arcade Fire ayant le bon goût d’éviter d’en faire des tonnes. Même sujet et même interprétation simple, directe et touchante sur un River King dépouillé de tout oripeau inutile, du genre ‘un crooner + un piano = titre final pour faire pleurer dans les chaumières’. Même si ce calme après la tempête, ce coin de paradis trouvé après avoir traversé l’enfer de Best In Show, laisse aussi transparaître une bonne vieille couche d’ironie. Les bestioles habituelles grouillent toujours sous le vernis rutilant. Boys will be boys.
Photo : Fredrik Bengtsson
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