
06 Mar 25 Trupa Trupa – ‘Mourners’
EP / Glitterbeat / 21.02.2025
Post punk psyché
Grzegorz Kwiatkowski, leader de Trupa Trupa, a toujours eu une saine obsession pour la grande histoire, celle de l’Europe déchirée par les guerres, qui a tragiquement marqué le coin de sa Pologne natale. Mais le natif de Gdansk a également toujours été passionné par une autre histoire, celle de la musique populaire, et surtout de ses dialogues imprévus avec freaks, misfits, et autres poètes maudits. Là se tient l’essence même du post-punk à tendances psychédéliques et gentiment schizophrènes de son groupe. Dénicher l’étrange et l’inattendu là où on ne s’attend pas forcément à les trouver.
Désormais trio, le collectif polonais accentue donc avec son nouveau EP Mourners la facture ‘pop’ sous-jacente à sa musique pour mieux la subvertir de l’intérieur. Pour ce faire, il s’est payé les services de Nick Launay, dont le travail de production avec des artistes également adeptes du grand écart entre adhésion populaire et goût pour les parti-pris sans concessions (Nick Cave, IDLES, Gang Of Four…) en fait un partenaire idéal pour élargir la palette sonore sans trahir ses intentions premières. De fait, jamais Trupa Trupa n’a sonné de manière si impériale que sur Mourners. Ce qui ne veut pas dire que les bizarreries habituelles ne sont pas au menu.
Et ça commence par un double clin d’œil : un appuyé au Velvet Underground par l’intermédiaire du titre du premier morceau, Sister Ray – et l’autre adressé à Joy Division dans la composition elle-même. Un Joy Division qui ferait un radio-crochet pour ironiquement séduire la ménagère de moins de cinquante ans, entre paliers synthétiques lourds en gamme mineure et hook vocal simple, accrocheur et concis. Looking For enfonce le clou pop ensuite, même si ses guitares souples gavées de chorus se voient souillées par des interludes plus torturés. ‘It’s not what I was looking for‘, entonne Grzegorz, l’air un peu désespéré. C’est quand on ne cherche pas que l’on trouve, visiblement. Le plus lent No More part sur un terrain spoken word autrefois exploré par David Byrne avec les Talking Heads, entre basse qui virevolte et crissements de synthés inquiets dignes de Blade Runner. Backwards Waters est une espèce de Devo malpoli et rustaud période Whip It (autre référence n’ayant jamais su choisir entre avant-garde et velléités commerciales), avant un pont final tout en suspensions interrogatives. Laissant le plus bizarre pour la fin – un EP est souvent une carte de visite qui se soucie guère de mettre de l’ordre dans son petit catalogue – le morceau-titre Mourners développe une sorte de disco-funk indolent dont le sillon évoque plus les années 70 du rideau de fer que celles du Studio 54 à New York City. Bowie, qui a souvent fait la navette entre la Grosse Pomme et Berlin-Ouest, n’est pas si loin. Même si, de son propre aveu, le gang de Gdansk invoque plutôt lui le fantôme tutélaire Holger Czukay, qui après ses années avec Can s’était piqué de mettre la pop allemande sans dessus dessous à coup d’expérimentations frénétiques et iconoclastes.
En faisant le deuil de ses années souvent assez bruitistes en tant que quatuor, Trupa Trupa semble donc prendre un nouveau départ. Reste à découvrir la manière forcément idiosyncratique avec laquelle les trois polonais développeront leurs nouvelles ambitions en format long, tout en continuant à revisiter les pages plus ou moins obscures de l’underground européen. Petite ou grande, l’histoire continue.
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