13 Sep 19 Tool – ‘Fear Inoculum’
Album / RCA / 30.08.2019
Post métal
‘Plus on plait généralement, moins on plait profondément‘. La célèbre citation de Stendhal fait office de phrase d’accueil sur le site Caduceus Cellars qui présente les breuvages du domaine de Maynard Keenan. Le chanteur de Tool produit du vin et est, en bon viticole, adepte de la bonification par le temps.
Treize ans et quatre mois séparent Fear Inoculum de 10,000 Days, ce qui fait 4868 jours environ : le compte n’est pas bon, mais connaissant les passions mathématiques du groupe californien, cela valait le coup de calculer. Une durée qui aura fait de cet album l’un des plus attendus et fantasmés de la décennie. Tool a manifestement poussé les liens avec les grands crus viticoles, allant jusqu’à proposer un package deluxe de l’album comme unique version physique disponible, pour une somme avoisinant le prix d’un Saint-Estèphe 1989. Quand on goute un grand vin de garde, on a envie de ne pas être déçu. Pour les fans de Tool au moins, c’est le sentiment qui domine.
Les premières écoutes sont déstabilisantes. Il a fallu faire abstraction de la pochette, présentée en même temps que le single éponyme. D’un point de vue pictural, Tool a souvent oscillé entre prouesses (la pochette holographique de Aenima, le clip de Sober) et trips psychés indigestes. Ici, la multiplication de globes oculaires fonctionne bien sur l’édition physique deluxe seule mais est, dans sa version digitale, écrasée par l’affreuse typographie comme sortie d’une série d’heroic fantasy de seconde zone. ‘Plus on plait généralement, moins on plait profondément‘ donc, et on peut soupçonner Tool d’avoir cherché à fuir l’unanimité.
On retrouve le son du groupe, mais on le trouve plus net, plus précis, plus méticuleux qu’il y a treize ans. Le jeu du batteur Danny Carrey, plus métronomique que n’importe quelle machine et en constante prouesse technique, renforce ce sentiment de sur-maitrise, parfois à l’excès (les doubles croches sur les toms et percussions sont ici très présentes). On s’incline devant la complexité, mais on est inquiet de la limite ténue qui sépare le complexe du compliqué. Ici, la musique est écrite, cérébrale, du coup les tripes ne répondent pas immédiatement. On a besoin de faire des sautes de vingt ans, d’aller comparer avec nos titres favoris de la discographie tout en sachant qu’on n’atteindra plus les sommets d’un Eulogy bonifié temporellement par près de 25 ans d’écoutes régulières. Après plusieurs traversées, on a le sentiment étrange de retourner vers les compositions de Fear Inoculum pour mesurer l’effet qu’elles ont sur nous. Dans l’attente d’un kick. Le plaisir est là, mais cette sensation de transport reste inassouvie. Certains passages, musicaux surtout, nous offrent un début de montée (le riff martial incroyablement efficace au milieu du titre Invincible), mais la charge émotionnelle des voix semble bien loin, tant de celle des cris que de celle des chuchotements qui donnaient à Tool toute sa chair.
Peut être a-t-on besoin de temps pour apprécier ce Fear Inoculum dans son ensemble (car c’est ainsi qu’il fonctionne le mieux), pour se faire à ces interludes un peu plaqués et donc chasser les comparaisons avec ceux, parfaitement imbriqués, des productions précédentes. Pour apprécier également les morceaux dont les durées semblent étirées plus par principe que par nécessité. Portés par un plaisir croissant, on peut penser avec enthousiasme que l’album nous réserve encore pas mal de surprises et de délectations, sans écarter pour autant la possibilité qu’il soit ce disque muséifié d’un des groupes les plus créatifs du début des années 2000.
A ECOUTER EN PRIORITE
Fear Inoculum, Pneuma, Invincible
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