Tindersticks – ‘Soft Tissue’

Album / City Slang / 13.09.2024
Indie rock

Le processus créatif est souvent perçu comme mystérieux ou spontané. Il est très souvent différent d’une personne à l’autre. Comprendre et décoder celui de quelqu’un, que ce soit en littérature, en musique ou autre, permet d’entrer dans son univers et de voir les choses sous un nouvel angle. Cela peut susciter une plus grande empathie pour le créateur et son œuvre, en révélant les efforts, les hésitations, les défis ou les moments d’inspiration qui ont façonné le produit final. Quand Stuart Staples, leader du groupe anglais Tindersticks, est interrogé sur sa manière de composer, il répond que ‘créer une chanson vient du désir de toucher à la connexion de l’esprit, et il faut faire une expérience pour trouver ce point de connexion. Ce n’est jamais la même chose, et on apprend des façons de faire, mais on n’apprend pas forcément une technique qui permet de passer d’une idée à un geste et un résultat. Pour moi, le processus de création est sans cesse renouvelé. Quand on est confronté à un sujet difficile à aborder, la musique elle-même doit avoir une dimension aventureuse et ludique‘. (Émission Par les temps qui courent du 31 mars 2022 – France Culture). Se renouveler en permanence, se mettre en danger, voilà le secret de la longévité et du succès de la formation de Nottingham qui nous livre à intervalles réguliers, depuis plus de trente ans, un petit joyau sonore. C’est aujourd’hui un quatorzième album, Soft Tissue, qu’elle nous révèle.

La musique de Tindersticks se distingue par un mélange unique de genres, allant du rock alternatif à la soul, en passant par la musique orchestrale. Le groupe intègre souvent des arrangements luxuriants avec des cordes, des cuivres et des pianos, créant des atmosphères à la fois intimes et dramatiques. Au-delà des arrangements, ce qui caractérise sa musique, c’est la voix grave et vibrante, aisément reconnaissable, qui apporte une profondeur émotionnelle aux morceaux, souvent décrits comme sombres, mélancoliques et cinématographiques. Le cinéma tient d’ailleurs une place importante dans la musique de Tindersticks, et ce depuis plusieurs années car elle est souvent indissociable de certains films de la scénariste et réalisatrice Claire Denis, pour lesquels le groupe a réalisé les bandes originales (Nénette et Boni, Trouble Every Day, Les Salauds…).

Soft Tissue est composé de huit titres dans lesquels se mêlent l’amour, la solitude, la tristesse et la nostalgie. Huit titres merveilleux que nous écoutons d’une traite, encore et encore, inlassablement. Sur New World, les premières notes des cuivres sont détonantes, puis David Boulter au clavier calme nos ardeurs, la batterie marque le temps, et Stuart Staples pose sa voix de crooner. La magie opère. Sur le refrain, ‘I won’t let my love become my weakness‘, la voix de Gina Foster (vocaliste Soul) vient épouser celle du britannique, comme plus tard sur le lumineux et énergique Turned My Back. Le morceau prend de l’ampleur, en intensité musicale et émotionnelle, avec des voix qui deviennent plus fortes, des harmonies plus complexes et une intensité rythmique accrue.

Stuart Staples sait varier les plaisirs et dérouter son auditeur à l’instar de Don’t Walk, Run, titre légèrement funky, inquiétant et entêtant. Falling, The Light, marqué par le rimshot de la batterie, nous rappelle le tictac du temps qui passe. Accompagnée par la voix empreinte d’une certaine sensibilité, la chanson nous berce. Nancy ressemble à une danse désarticulée au rythme claudiquant. Le chant est désolé, résigné, illusoire – ‘Nancy, Nancy answer me‘. Le morceau Always A Stranger nous touche profondément. Les arrangements sont féériques, et la trompette de Terry Edwards est déchirante, à la fois joyeuse et mélancolique. The Secret Of Breathing est un titre intimiste, épuré dans lequel nous écoutons les murmures d’une voix magnétique. Enfin l’album se referme avec Soon To Be April qui nous laisse dans un état de trouble, indescriptible, entre angoisse, appréhension, et joie espérée.

Chaque piste de ce quatorzième long format révèle la maîtrise du groupe pour créer des atmosphères tantôt éthérées, tantôt poignantes. Soft Tissue n’est pas seulement un album, mais une expérience immersive qui nous invite à explorer la profondeur des émotions humaines. Avec sa capacité à surprendre et à toucher, Tindersticks confirme une fois de plus sa place particulière dans le paysage musical contemporain.