Tim Hecker – ‘Konoyo’

Tim Hecker – ‘Konoyo’

Album / Kranky – Sundblind / 28.09.2018
Bruit harmonique


Difficile de dire pourquoi, mais Konoyo rappelle ce que disait le mythologue américain Joseph Campbell au sujet du sublime. Résultat d’un objet si beau, si parfait et si vaste, il génère en nous un état de terreur face à la réalisation immédiate de notre insignifiance. Neuvième LP de l’artisan sonore canadien, Konoyo tire son inspiration principale de la musique de la cour impériale japonaise Gagaku, un style musical non-harmonique millénaire empreint de menace et d’explosions calculées, sobres et majestueuses.

Cette inspiration est immédiatement apparente lors de l’écoute de This Life avec ses sirènes en chute libre sur lesquelles coulent divers liquides mélodieux. In Death Valley est plus lumineux. Explosion de lumière, rayons incandescents, grandes plaines de déserts chatoyants – on est bien dans la vallée de la mort au Nevada, juste à côté de la Californie d’adoption du compositeur montréalais.

Celles et ceux qui l’ont vu en concert comprendront tout de suite pourquoi l’on parle beaucoup de la notion de ‘negative space’ au sujet du travail de Tim Hecker. Dans une salle plus embrumée qu’un cumulonimbus avant l’orage, le volume au maximum bouscule les oreilles tandis que les lumières abruptes fusent ça et là. Ici encore (et peut-être plus que précédemment), le producteur ne crée que les pointillés, laissant le soin à l’auditeur de tracer les lignes. Car si la mélodie est généralement un ancrage émotionnel dans la musique (sa disparition générant une légère nostalgie, son retour, de la joie), Tim Hecker fait fi d’un tel élément formel dans Konoyo (exception faite peut-être de In Mother Earth Phase où, à la toute fin, un aria au violoncelle ancre l’auditeur dans un moment grave et pensif). Les mélodies sont ici brisées en morceaux. Le résultat est déstabilisant car c’est à l’auditeur de les recoller.

Konoyo n’est du reste pas dénué d’émotions. Évoquant des chants de baleine en deuil, l’album est empreint de la mélancolie des grandes villes non sans rappeler le travail expérimental de Vangelis (A Sodium Codec Haze et Across to Anoyo notament), tandis que les textures sonores granuleuses qui jaillissent inopinément ça et là font penser à Matthew Herbert et ses expérimentations de l’époque Plat du jour.

Konoyo en japonais veut dire ‘le monde d’ici’, contrastant donc avec ‘le monde de là-bas’. Un contre-point qui dénote peut-être l’envie de voir dans la banalité du ‘monde d’ici’ une magie propre à la stupeur sublime du ‘monde de là-bas’.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
A Sodium Codec Haze, Keyed Out, Across to Anoyo


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