26 Sep 24 Thurston Moore – ‘Flow Critical Lucidity’
Album / Daydream Library / 20.09.2024
Indie rock
Figure tutélaire du rock brutal et icône des années 90’s, Thurston Moore entre brutalement dans l’histoire de la musique en 1981 avec Sonic Youth, groupe mythique qu’on ne présente plus et dont la reformation espérée depuis une bonne décennie ne semble toujours pas à l’ordre du jour. En parallèle des sorties régulières du combo noise, Moore, depuis 1995, mène tranquillement mais sûrement une carrière solo irréprochable quoique discrète, sans doute parce que plus expérimentale que tape à l’œil que son ex-compagne Kim Gordon. Enregistré aux Total Refreshment Studios à Londres, mixé aux Hermitage Studios et inspiré par l’univers de la danseuse Isabella Duncan, Flow Critical Lucidity, son neuvième album, succède à By The Fire sorti en 2020, et Screen Time, essai instrumental paru quasiment dans la foulée qui prenait un virage plus introspectif et méditatif.
C’est entouré d’une formation de fines gâchettes – composée de Debbie Googe à la basse (My Bloody Valentine), James Sedwards aux guitares et claviers, Jon Leideker (alias Wobbly) sur les parties électro et Jem Doulton aux fûts – que l’américain ajoute une pierre à son édifice discographique, mû par la même volonté d’aller à l’essentiel, sans fioritures, avec toujours ce goût prononcé pour les dissonances audacieuses et le poil à gratter auditif. On retrouve dès New In Town le timbre familier, paresseux mais profond de Moore, affalé sans manières sur un épais tapis de percussions et de guitares hypnotiques. Lou Reed période Velvet n’est pas très loin, l’ambiance est feutrée, et le morceau prend même des couleurs orientales aux reflets psyché, ce qui le rend immédiatement attirant sans pour autant le rendre irrésistible.
L’enthousiasme sera de mise sur le superbe Sans Limites, avec Laetitia Sadier de Stereolab au chant (autre icône des années 90), qui prend le temps de s’imposer à nos oreilles grâce à une introduction ciselée sur laquelle montent en puissance piano déterminé et guitare arrogante. La puissance pop du titre emporte tout sur son passage et figure déjà parmi les grands classiques de son répertoire, à ranger tout à côté de Speak To The Wild ou Psychic Hearts. Shadow, plus âpre et agressif, hausse enfin le ton et renoue, timidement certes, avec les guitares saturées et stridentes qui se faisaient attendre. Moore nous offre même un final noisy à nous rendre nostalgiques des riffs frondeurs de Goo ou Dirty… Ou de Rock’N Roll Consciousness sorti il n’y a pas si longtemps… Laissons le passé là où il est, les temps changent et même les légendes, si elles ne meurent jamais, prennent parfois un coup de vieux… Ou gagnent en sagesse.
Preuve en est avec l’indolent We Get High, longue divagation hallucinatoire qui, comme son nom l’indique, explore les effets des substances en tout genre, l’altération de la conscience et les états seconds ici musicalement plus comateux que fiévreux. Un bad trip perché qui amorce une descente difficile, et une remontée qu’on aura bien du mal à refaire… Par flemme d’abord mais surtout parce que Rewilding et The Diver nous entraînent encore plus loin dans les bas-fonds cold où flotte l’esprit torturé de Ian Curtis.
Sombrer n’est pas une sensation si désagréable, à condition d’accepter Flow Critical Lucidity pour ce qu’il est… Une ode au mouvement, à la lenteur et à l’intériorité. Plus organique qu’électrique, plus progressif qu’instantané, l’album est un long souffle traversé par endroits de lourds soupirs et de spasmes lumineux. Thurston Moore, qui a tant donné au rock, mérite bien cette fois qu’on prenne le temps de caler notre respiration sur la sienne.
Photo : Nicolas Rivoire
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