05 Juil 19 Thom Yorke – ‘Anima’
Album / XL / 27.06.2019
Electro ambiant & expérimentale
Si Radiohead a toujours su se faire discret entre chacun de ses albums, nul ne peut ignorer la productivité assez remarquable dont a fait preuve son leader, notamment au cours des six dernières années qui l’ont vu enchaîner un premier album d’Atoms For Peace (2013), un deuxième effort solo (Tomorrow’s Modern Boxes, 2014), un nouvel opus de Radiohead (A Moon Shaped Pool, 2016) et une bande originale pour le film Suspiria de Luca Guadagnino l’an passé. Assez pour gagner une place bien méritée dans le cercle des personnalités musicales les plus productives de cette décennie, aux côtés des stakhanovistes bien connus que sont Damon Albarn ou encore Jack White. Et 2019 enfonce le clou avec Anima, nouvel album intime et personnel, sans doute l’un des plus aboutis depuis la sortie de The Eraser, son premier exercice solo de 2006.
En réalité, il est intéressant de voir à quel point le britannique arrive à pousser toujours plus loin sa formule électronique. A l’image d’un Julian Casablancas qui se sert de The Voidz pour expérimenter ce qu’il n’a jamais pu accomplir au sein des Strokes, Thom Yorke explore en solitaire des profondeurs expérimentales qui lui seraient probablement impossibles au sein de Radiohead. Ainsi, Anima s’inscrit dans la droite lignée de ses précédents travaux, telle une œuvre globale surfant entre minimalisme et production épaisse, dictée par la mélancolie et l’introspection de son auteur, Yorke ayant toujours su s’inspirer du monde qui l’entoure, tant pour ses beautés que ses travers les plus glauques. On retrouve donc ici sa vision actuelle d’une société de plus en plus déshumanisée, narrée de manière poétique, parfois lunaire, au travers de paysages sonores gravitant souvent comme des puzzles que l’auditeur peut construire et déconstruire au fil des écoutes. Chacune des neuf pistes est un mélange de nappes synthétiques, de beats et de samples, de rythmes syncopés et de textures qu’on croirait parfois à l’os, parfois enveloppées de velours. Mais au delà de l’aspect instrumental, Thom Yorke fascine depuis quelques années par la complexité de ses nouvelles prises de position sur sa voix de plus en plus déstructurée. Il offre encore ici une nouvelle variété de tons et d’intentions, prouvant ainsi qu’il ne cherche toujours pas à se reposer sur ses lauriers.
Anima fait preuve d’une véritable puissance, tant sur le propos que dans sa proposition musicale, et affiche parmi les titres les plus singuliers que le britannique ait pu offrir. Du groove nonchalant de I Am A Very Rude Person au majestueux et complexe Not The News, des plus classiques Last I Heard et Twist au magnifique The Axe que n’aurait pas renié le trio allemand Moderat, jusqu’à la conclusion Runwayaway où planerait presque le fantôme de Four Tet, Thom Yorke explore les méandres d’une musique expérimentale rythmée qu’il sait à tout moment calmer. En atteste Dawn Chorus, point culminant et pièce centrale du disque, qui traite ici de la perte, de la nostalgie et de l’adieu, tout en faisant l’éloge de la vie et de cette obligation indéniable d’aller de l’avant. A jamais l’un des plus beaux titres écrits et composés par l’anglais.
Il y a une angoisse latente sur Anima qui vire parfois à la paranoïa ou à la claustrophobie, comme dans un cauchemar ou un rêve à demi éveillé. Ainsi, pour compléter cette œuvre déjà riche et pour illustrer visuellement son propos, Thom Yorke a décidé de collaborer une fois de plus avec le réalisateur Paul Thomas Anderson pour donner vie à un court métrage indissociable de l’album, jusqu’alors seulement visible sur Netflix. Cette œuvre cinématographique chorégraphiée par Damien Jalet – qui avait notamment travaillé sur le film Suspiria – affiche un Thom Yorke déroutant, mis en scène aux cotés de sa compagne à la ville (l’actrice italienne Dajana Roncione) dans un film qui fait référence à l’inconscient et à la représentation féminine via l’imagination masculine, concept de psychologie analytique fondé par Carl Jung auquel le titre Anima fait directement référence.
Somptueux et dense, ce nouvel effort est l’œuvre contemplative et contemporaine d’un Thom Yorke à l’ère de la surconsommation, des réseaux sociaux, de l’isolement, de l’individualisme et de l’aliénation. La noirceur y est indéniable mais, entre troubles sociaux et monologue interne, elle demeure plus hypnotique et passionnante que jamais. Un nouveau coup de maître pour l’un des musiciens les plus inspirants et hors-norme de notre époque.
A ECOUTER EN PRIORITE
Dawn Chorus, Not The News, The Axe
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