
19 Juin 25 The Young Gods – ‘Appear/Disappear’
Album / Two Gentlemen / 13.06.2025
Electro rock
Apparaître / disparaître : la ligne directrice de The Young Gods depuis leur tout premier album, en 1987. Il y eut la phase initiale, où la radicalité et la nouveauté de leur démarche, construite à partir des sons générés par des samples et non par des suites d’accords, provoquaient la stupeur du public ; vint ensuite le temps du succès, lorsque leur approche est devenue plus directe (avec TV Sky en 1992 : on dansait alors sur Skinflowers dans certaines boîtes de nuit !) ; mais aussi régulièrement des tentatives plus expérimentales (comme avec Play Terry Riley In C, en 2022). Cependant, on retrouve toujours cette exigence constante de déconstruire / reconstruire leur musique pour en préserver la spontanéité subversive, ce qui n’a pas manqué de leur valoir une reconnaissance internationale, notamment de la part de David Bowie (qui s’est inspiré du trio sur Outside, en 1995) ou de Nine Inch Nails.
Réapparition des Young Gods en 2025, quarante ans après leur formation : le coup de maître encore et toujours. Tout est là : la violence, la beauté, la signification. Dix titres de haute volée, rivalisant largement avec les meilleurs moments de leur histoire. Très rapidement, s’impose une évidence à l’écoute d’Appear/Disappear : ces Helvètes aussi magnifiques que terribles n’ont-ils pas toujours été à la hauteur des enjeux en n’ayant eu de cesse de conditionner leur expression à sa capacité à répondre adéquatement aux circonstances ? Dès les premiers titres, on comprend que les tourments et désastres en cascade de notre époque ont rendu le groupe plus pertinent que jamais. Qu’il s’agisse de se positionner dans une société complice des horreurs perpétrées ailleurs dans le monde (Appear/Disappear), de se baigner dans les eaux noires de l’anarchie (Blackwater, du surnom d’une activiste à Hong Kong lors de la révolution des parapluies en 2019), ou de persister à s’indigner de ces ‘choses qui tombent du ciel / que j’avais oubliées‘ et qui renvoient aux horreurs des guerres actuelles (Mes Yeux De Tous, Shine That Drone), tout dans la manière percutante des Young Gods offre une réponse artistique forte à nos troubles et à nos peurs.
Pourtant il ne s’agit pas ici de seulement faire le diagnostic implacable et désespérant d’un monde profondément conflictuel, mais également d’offrir une ode puissante à l’amour avec Blue Me Away et son refrain exutoire. Sur cet autre sommet de l’album, mélangeant sensualité et sentiment de menace insidieuse, qu’est Hey Amour, c’est encore l’amour qui s’impose comme le moteur d’une prochaine révolution d’autant plus nécessaire qu’elle répond aux vertiges de l’isolement expérimenté au temps du Covid. La ligne directrice d’Appear/Disappear semble être ainsi de trouver, à l’échelle de l’individu, des stratégies pour ne pas se conformer aux logiques mortifères à l’oeuvre partout autour de nous : ‘Je passe où ça casse‘ nous dit Franz Treichler sur Mes Yeux de Tous. Ainsi, en exploitant les failles des différents pouvoirs organisant l’aliénation de nos existences, il contribue à recréer de nouveaux espaces de liberté. Résigné, jamais ! ‘Anticapituliste‘, toujours ! (selon le terme utilisé à propos par le chanteur du trio Suisse).
Ici, tout est acéré, dur comme l’acier, froid comme le métal le plus tranchant, mais il y a également des vibrations électroniques organiques, presque liquides, comme une récupération du son des machines par une humanité farouche et éclairée, une promesse de collaboration avec la technologie, en fait. Et puis il y a cette voix, murmurante ou hurlante, imposant magistralement sa présence, et ces paroles toujours aussi singulières et précieuses par leur capacité à générer des images poétiques hallucinées d’une très grande force. Et c’est ce qui fait de cet album une formidable réussite : l’expression d’une parole exhibant le réel, effroyable et éprouvant, mais qui, accompagnée de la précision chirurgicale des éléments électroniques et de ce sens aiguisé des riffs qui cisaillent autant qu’ils détonnent nous apprend la résistance. Là, tout devient clair : les Young Gods n’ont jamais aussi bien mérité leur nom.
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