26 Sep 23 The Warlocks – ‘In Between Sad’
Album / Cleopatra / 22.09.2023
Rock psyché – Cold wave
Que peut la musique face au scandale absolu que constitue la disparition d’un être que l’on aime ? Elle peut, au mieux, permettre de mettre symboliquement en forme la douleur afin de lui donner un sens – ce qui signifie apprendre à vivre avec elle et non plus seulement la subir -, mais elle offre également la possibilité d’épancher cette douleur, de lui ouvrir les vannes en espérant – vainement sans doute – qu’au bout du bout elle finira par nous laisser un répit. Les albums de deuil sont pour ces raisons des œuvres singulières, rares, et on les approche avec d’infinies précautions, pour ne pas dire appréhensions. On se souvient de Skeleton Tree et Ghosteen, témoignant de façon sidérante du courage et de la dignité de Nick Cave à faire exister sa musique au coeur de l’expérience terrible de la perte d’un enfant. On peut n’écouter qu’exceptionnellement ce genre d’albums, mais le fait de savoir qu’ils existent est le signe précieux que la mort n’aura pas le dernier mot.
In Between Sad est un album de deuil. Sur la pochette il est précisé qu’il s’agit d’une œuvre des Warlocks, mais on n’y voit en fait que Bobby Hecksher, tête baissée vers sa guitare, un fin halo de lumière le séparant de ténèbres prêtes à l’absorber. Et ce disque, c’est une évidence, suinte la plus insupportable des solitudes, celle d’un homme terrassé par la douleur du décès de son frère. L’entrée en matière, le très beau Broken Bridges, premier single extrait de l’album, offrait pourtant un contraste saisissant entre la recherche d’une forme de salut, symbolisée par cette superposition de guitares créant comme l’illusion d’un ciel de pluie laissant filtrer quelques encourageants rayons de lumière, et l’expression de la stupeur liée à la perte, douloureusement rendue par une voix semblant être celle d’un enfant esseulé. The Last Road reprend cette ambiguité en révélant une disposition plus combative du leader des Warlocks, (I don’t want to live in fear, confesse-t-il alors), prolongée d’ailleurs par I Think I’m Done with You. Cependant I’m Never Gonna Be The One You Love, avec sa ligne vocale tellement fragile qu’elle donne l’impression d’être toujours en décalage avec la musique, opère une bascule en paraissant nous immerger dans la phase antérieure du deuil, lorsque la violence de la douleur liée à l’absence fait perdre tout repère et livre l’individu au non sens abominable d’une existence confrontée au néant. Dès lors, les Warlocks en tant que groupe semblent avoir disparu, ne laissant plus entendre que la déréliction de Bobby Heckshner. Une boîte à rythme décharnée, des guitares à l’abandon, une voix erratique noyée au coeur d’une immense souffrance, composent alors une lente dérive vers la désolation. Les compositions, à partir de ce moment, délaissent le rock psyché pour se rapprocher d’une new wave – voire cold wave – dépouillée et souvent atmosphérique, évoluant selon les sombres humeurs de leur auteur. Même si les mélodies, ténues, peinent encore à soutenir un chant profondément instable, dans l’imminence de son propre effondrement, la réorientation musicale qui s’opère à cet endroit d’In Between Sad convient nettement mieux à ce qui cherche à s’extérioriser. On pense à Siouxsie and The Banshees pour les guitares torturées, à Joy Division et à The Cure pour cette propension à révéler, par le son, de vastes étendues d’angoisse. Quant à Toxic Years, l’un des morceaux les plus bouleversants de l’album, il reprend de Some Kind Of Stranger des Sisters Of Mercy cette progression implacable vers le paroxysme de l’affliction. L’ensemble est difficile à écouter, car tellement personnel et chargé d’émotions que l’on peut parfois s’en sentir exclu, mais c’est aussi et surtout un témoignage poignant de la capacité des artistes à inventer au plus fort de la douleur une forme esthétique susceptible de leur permettre de supporter et de transcender celle-ci.
Les Warlocks seront en tournée en France cet automne. Le retour du groupe parviendra-t-il à transmuer les morceaux d’In Between Sad de telle sorte à ce que la détresse individuelle qu’ils expriment puissent laisser filtrer une forme d’espoir que seul le désir d’être avec les autres peut générer ? Leur musique a toujours eu quelque chose de funèbre : c’est, si l’on veut, celle des limbes, de l’errance, éloignée des hommes dont elle ne peut relayer les aspirations habituelles, et repoussée des dieux qui en condamnent l’effroyable lucidité. C’est cette musique, portée à nouveau par une communauté qui l’empêchera de flancher, qui, espérons-le, permettra à Bobby Heckshner d’aller jusqu’au bout de son deuil : absorber la souffrance plutôt que d’être absorbé par elle, et signifier à la mort, encore une fois, que face à elle se dressera toujours et encore la promesse d’immortalité de l’art.
A ECOUTER EN PRIORITE
Ambien Hotline, Treasure The Time, Toxic Years
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