14 Avr 20 The Strokes – ‘The New Abnormal’
Album / RCA / 10.04.2020
Pop rock
On aura peut-être attendu sept ans avant de le voir venir, mais il nous aura encore fallu quelques jours et un peu de recul pour se faire une idée sérieuse concernant le nouvel album des Strokes. Intitulé The New Abnormal, ce sixième album des new-yorkais est l’une des rares grosses sorties musicales en cette période incertaine de confinement, le groupe et leur management ayant choisi de ne pas reporter sa parution, à la grande joie de nombreux fans. Beaucoup d’incertitudes accompagnaient le retour musical de Julian Casablancas et sa bande, et pourtant, l’envie de raviver une flamme à l’agonie depuis longtemps commençait petit à petit à se faire ressentir, comme un doux parfum de nostalgie qu’on ne saurait renier.
Crevons l’abcès tout de suite : The New Abnormal n’est ni un chef d’œuvre, ni une complète désillusion, tout en précisant que les deux possibilités étaient chacune largement envisageables. On aurait beau persister, difficile de ne pas comparer ce nouvel opus aux premières œuvres du groupe tant elles furent brillantes et ont su se faire une place de choix dans les classiques musicaux de ces vingt dernières années. Pour être tout à fait honnête, The New Abnormal fut une franche déception à la première écoute. Puis il s’est révélé séduisant à la deuxième, pour finalement nous procurer ce doux sentiment d’apaisement lors des écoutes suivantes. Illustré par le mythique Bird On Money de Basquiat, cet album c’est du 100% pur jus, tout ce qu’il y a de plus Strokes. Cependant, et cela n’a échappé à personne, les new yorkais ont désormais la jeune quarantaine, pas les mêmes histoires à raconter, pas les mêmes envies d’en découdre, et une très lourde renommée qu’ils souhaitent très probablement mettre de côté aujourd’hui. En ont-ils pour autant perdu leur aura, leur talent, leur classe, ou encore leur pertinence ? Aucunement. Comme le disait le taulier : ‘il suffira d’une étincelle‘ et ici, elle s’appelle Rick Rubin.
Le pape des producteurs américains, réputé pour savoir comment redonner du souffle à des carrières en péril, et dont le CV demeurera éternellement pharaonique, a été appelé à la rescousse pour déclencher cette étincelle. Bien que depuis quelques années Rubin soit méconnaissable et que ses productions ne soient plus ce qu’elles étaient, force est de constater que le gourou a su user de son aura pour mettre les new-yorkais à l’aise, et insuffler toute la dynamique et la fraicheur nécessaires à la cohérence de ce nouvel album qui joue à fond la carte de la nostalgie et qui, hormis des soli de guitares moins mémorables que par le passé, contient tous les ingrédients chers à la musique des Strokes. Avec ses airs de gueule de bois heureuse, le disque est empreint d’un véritable spleen, celui qui a la couleur d’une Margarita et d’un coucher de soleil sur les collines de Malibu, la Pontiac de 1984 garée juste à côté. Il y a ici un goût de reviens-y, des mélodies qui marqueront les âmes, et l’intime conviction que les Strokes ont réussi là où Muse, les Killers et tant d’autres ne cessent de se rétamer depuis des années. Malgré quelques malheureuses sorties de routes – le mollasson Why Are Sundays So Depressing, ainsi que le passable Brooklyn Bridge To Chorus et ses airs à la Rod Stewart – The New Abnormal s’accapare une place de choix dans la discographie du groupe grâce à quelques pépites notables comme l’entame The Adults Are Talking, la sublime ballade Selfless, ou encore le déjà classique Not The Same Anymore. Entre chaque morceau viennent se glisser de minuscules interludes où l’on entend le groupe discuter en studio et se vanner, ce qui rajoute une touche précieuse au sentiment de proximité et de complicité qui survole ce disque. Et quand il s’agit de mettre en lumière leur amour inconditionnel pour les sonorités 80’s, les new-yorkais n’hésitent même plus à s’en inspirer sans limites, quitte à créditer officiellement les artistes références, comme le Dancing With Myself de Billy Idol’s pour Bad Decisions, ou bien encore The Ghost In You de Psychedelic Furs pour Eternal Summer.
Mais les deux pics émotionnels de ce disque sont incontestablement les titres At The Door et Ode To The Mets. Parmi les meilleurs mélodistes et compositeurs de ces vingt dernières années, Julian Casablancas confirme une fois de plus et fait mouche avec son irrésistible et nonchalante mélancolie. Alternant régulièrement voix grave et voix de tête, le chanteur déploie ici tout son art et sa franchise, se laissant aller à quelques effets qu’il maitrise aujourd’hui plus que jamais grâce à ses expérimentations au sein de son projet parallèle The Voidz. Sur Ode To The Mets, le new-yorkais tutoie les sommets, touche le sublime, et donne au titre des allures intemporelles rappelant au bon souvenir du My Way de Franck Sinatra.
Dans un sens, The New Abnormal est peut-être musicalement pour les Strokes ce que fut l’album Let’s Dance pour Bowie. On y ressent à moindres mesures les mêmes envies d’audaces musicales et une certaine forme de mélancolie contemporaine, celle qui donne envie d’aller siroter un cocktail et de fumer une clope en faisant la fête. N’est-ce pas là un peu ce dont nous avons tous besoin en cette période de confinement morose ? Ce sixième album est sans doute le plus pertinent et le plus touchant que le groupe ait sorti depuis dix ans. C’est un joli pansement pour les blessures du passé, voire même un chant du cygne, qui sait ? Les Strokes demeurent finalement les Strokes, et n’en déplaise à certains, le temps qui passe ne semble en rien altérer la sincérité qui se cache au fond d’eux. Drums please Fab !
A ECOUTER EN PRIORITE
The Adults Are Talking, Selfless, At The Door, Not The Same Anymore, Ode To The Mets
Pas de commentaire