The Psychotic Monks – ‘Pink Colour Surgery’

The Psychotic Monks – ‘Pink Colour Surgery’

Album / Vicious Circle / 03.02.2023
Post punk electro

Le corps est la réalité‘ déclarait, en avril dernier, le réalisateur David Cronenberg lors d’un entretien accordé aux Cahiers du Cinéma. ‘Tout le monde sait que le corps humain n’est pas heureux dans notre monde, qu’il essaie de changer sous la pression évolutive. Parfois on l’aide à le faire, par de la chirurgie‘. Cette chirurgie, qu’elle soit métaphorique, littérale, consciente, refoulée, consentante, subie, fantasmée ou non, est aujourd’hui au cœur même du nouvel album des Psychotic Monks, sur le fond comme sur la forme. Dans un univers souvent clinique, où bruits et sons se mêlent à la façon d’un alliage entre organisme et artifice, la proposition du disque bouscule, fascine, questionne, percute et bouleverse. Qu’est-ce qu’être un groupe de rock aujourd’hui, et comment ne pas en répéter éternellement les mêmes codes et clichés, souvent toxiques ?

Produit par Daniel Fox de Gilla Band, le son est brut, direct, massif, abrasif et sans concession. Il laisse place à une production d’un apparent minimalisme, en accord avec le tournant opéré par les arrangements et l’orientation plus électronique de ce nouvel album. Si les différents plans sonores ne recèlent pas de couches cachées ou de tuilages savants (encore que), nous aurions pourtant bien tort de ne pas tendre l’oreille, toujours à fort volume, pour saisir les détails de la production : jeux de compression, panoramiques déstabilisantes, radicalité du mixage font de cette aventure musicale une véritable épopée sonique et une odyssée technique, à son humble niveau. Délivrant une place non-négligeable aux paysages sonores, inspiré par la musique concrète et les pionniers de la musique électronique, le disque devient alors un lieu où l’espace s’étire et le temps respire, à moins que ce ne soit l’inverse. Les moments de densité et d’explosion prennent alors davantage de relief, à l’image du pachydermique solo de trompette sous distorsion venant clore le terrassant Décors de manière totalement disruptive et libératrice. Fruits de longues improvisations mûrement construites, répétées – et parfois copieusement découpées – en studio, ces nouvelles compositions marquent un tournant dans le parcours des Monks, forts de leur expérience de la scène et de leurs deux précédents opus. Plus question ici de tergiverser ou de se perdre dans des narrations parfois plus théoriques que pratiques, ici tout sera droit, précis, chirurgical, quitte à obstruer certaines dimensions plus empiriques ou oniriques.

À la manière d’outils médicaux, les choix opérés sur ce disque – puisque tout est une question d’opération – désarçonnent et viennent pointer du doigt – ou plutôt du scalpel – tous les maux et les grands bouleversements de notre société ces dernières années. Sous le vrombissement des basses, dans les inflexions des voix, derrière sa production, devant la direction de sa section rythmique, du côté de la froideur de ses synthétiseurs, par delà les textures des guitares, au creux des silences, en dehors des fréquences, se dessine alors, peu à peu, un monde tout sauf enviable : le nôtre.

Mais que l’on se rassure : si l’entrée en matière peut sembler quelque peu hermétique avec ses sons granulaires, ses glitchs et ses voix hantées, il n’y aura pas d’oraison funèbre, simplement une longue et belle élégie qui cherche la lumière sans détourner les yeux de l’apocalypse, quitte à finir aveugle (et sourd). Constater les décombres, ramasser les lambeaux, éteindre sa cigarette dans les cendres de ce qui donnera peut-être, demain, naissance à un phénix. Ce corps, jaillissant de la poussière, ne pourra être alors que grâce, légèreté et volupté. Et il faudra alors de la danse. Binaire, comme ses rythmiques et boucles électroniques qui jalonnent ses terres meurtries, ou plus libre, comme ses labyrinthiques structures, conférant à celles de l’ADN ou de l’atome. Tout y est mouvement, matière, énergie. Crescendo, tensions, rupture, frustration. Le son est tour à tour vivant, mouvant, mourant, dans un axe qui ne semble avoir ni de sens ni de finalité, car tout est fin là où tout est commencement. La mutation est interne, constante, omnisciente. Si le corps emprisonne l’esprit et que l’esprit empoisonne le(s) corp(s), comment faire face à cette dissociation ? Faut-il croire, comme dans le Mariage du Ciel et de l’Enfer de William Blake, que le corps et l’âme ne font en fait qu’un et que les principes d’existence réels sont, depuis tout ce temps, faussés ? À quel réalité se fier, au-delà des biais ?

Car si tout semble invoquer le corps dans ces intenses cinquante minutes de circonvolutions sonores, la question de la mémoire, des souvenirs, de l’enfance, des traumatismes est, elle aussi, partout. Ce que nous savons depuis toujours, ce sur quoi nous nous trompons, ce que nous voulons. Le poids de la famille, des codes sociaux, des structures qui emprisonnent, oppressent, anéantissent. ‘Now I understand where it all begins‘ peut-on entendre sur Imagerie. Il y a donc un début ; il n’y aura pas de fin. Les thèmes abordés convoquent alors à la fois les combats passés, présents et futurs pour livrer un kaléidoscope qui fait le lien entre psychanalyse, manifeste éthique, sociologique, politique et philosophique. Combat contre soi-même, tout d’abord, avec ses réflexes, ses automatismes, ses blocages, mais aussi combat contre le marasme ambiant et des enjeux de société qui ne vont, hélas, que trop rarement dans le sens de l’utopie. Face au voyeurisme, à cette ‘société du spectacle’ prophétisée par Guy Debord maintenant pleinement réalisée, quelle place et quel équilibre trouver dans cette avalanche d’informations, ce tissu de mensonges et de vérités souvent intrusif, quand tout se doit d’être déconstruit ? Et, par dessus-tout, comment exister, trouver la paix, dans ce monde malade qui agonise et se heurte à des murs plus grands que ses idéaux ?

Il aura visiblement suffit d’être et de se faire confiance pour ce groupe qui, quatre années seulement après son dernier effort, opère ici une véritable métamorphose, au sens quasi-Kafkaïen du terme. Mais là où le personnage de Gregor Samsa basculait de l’état d’humain à celui d’insecte rampant, il semblerait que la formation se mue, ici, en post-humains plus qu’en animaux terrestres. Toutefois, peut-être ne faut-il pas confondre cette vision augmentée de l’humanité avec celle du surhomme de Nietzsche (‘Il faut beaucoup de chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse‘ écrivait pourtant en 1885 l’auteur d’Ainsi parlait Zarathoustra). Il s’agirait plutôt d’y voir, dans le cas présent, une forme de résonance avec les avancées sociétales sur la question de la transidentité et la brèche ouverte vers le transhumanisme. Débarrassé de ses élucubrations dystopiques qui sont pourtant légion dans nos sociétés, celui-ci s’impose alors pleinement comme une alternative, une direction possible, peut-être même inévitable, après avoir élues domicile pendant des siècles uniquement dans nos imaginaires et notre inconscient collectif. Au-delà de ces fameuses parts d’ombre, la question du futur agit comme le fil conducteur de ces sept morceaux, agrémentés de cinq interludes, et donne le ton d’une nouvelle ère où la confusion laissée par les errances d’une génération laisse enfin place à la clairvoyance, la compréhension et la synthèse des questions liées à l’identité, au genre et à la normalisation. La fusion des aspirations, des états et des émotions tend alors vers le physique, le solide, la matière, le concret. En un mot : le corps. Et, donc, la réalité.

Jamais l’expression de la neurasthénie contemporaine n’aura pris une forme si définie, tendant vers la transcendance et le dépassement de son sujet. Il ne s’agit plus là simplement de contempler le chaos ambiant, de chercher à s’en extraire, mais plutôt de lui tendre la main pour saisir, dans l’ultime soubresaut de ce monde clivant, les derniers élans d’espoirs et d’humanité qui y résident.

Et ce disque devient peu à peu aussi limpide que familier. Avec en prime la douce conscience d’avoir la chance de vivre, d’autant plus en France, l’instant où un disque d’un tel acabit sort. ‘Not quite sure all this exist‘, et pourtant. Tourné vers l’avenir, en résonance directe avec les questionnements, paradoxes et préoccupations de son époque, Pink Colour Surgery devient alors, au fil des écoutes et de son exploration, aussi éblouissant qu’étourdissant et, surtout, proprement indispensable.

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A ECOUTER EN PRIORITE

Post-Post-, Crash, Imagerie, Décors, All That Fall


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