The Men – ‘Buyer Beware’

The Men – ‘Buyer Beware’

Album / Fuzz Club / 28.02.2025
Punk rock

The Men : une affirmation de virilité arrogante et rétrograde ? Non. The Men : la défense de ce qui fait de nous des Hommes et non des esclaves ou des monstres ? Oui. C’est en tout cas ce qui s’impose comme une évidence à l’écoute de Buyer Beware, le nouvel album des new-yorkais. Que ce soit dans les textes ou dans la musique, les références à l’effondrement d’un monde sont nombreuses, tout comme celles concernant la seule réaction valable à cette situation, à savoir garder son âme, rester intègre, préserver sa dignité, ce dont atteste en hurlant la fin du disque : ‘you’ll never get my soul‘ ! Facile et convenue comme déclaration ? En lisant cela sans avoir écouté les treize chansons proposées par Mark Perro (chant, guitare, claviers), Nick Chiericozzi (chant, guitare, saxophone), Rich Samis (batterie), et Kevin Faulkner (basse), on pourrait aisément le croire sauf que, hurlée dans un morceau de The Men, au beau milieu de ce brasier qu’est leur musique, la sentence paraît absolument crédible. A quoi cela est-il dû précisément ? A quelque chose de très simple, mais également de très rare (comme l’est, au fond, toujours, la simplicité) : tous les curseurs définissant le maximum d’intensité qu’un groupe de punk rock peut atteindre sont tout bonnement dépassés, ce qui signifie qu’avec The Men nous nous retrouvons dans la zone de tous les dangers, là où tout ce qui s’entend s’avère avoir un potentiel hautement inflammable. La plupart des morceaux de Buyer Beware semble ainsi être joués par un collectif qui ne se contient plus, qui a trouvé le moyen de se servir de son savoir-faire pour atteindre l’illimité, le hors la loi, le point de bascule où l’on perd la raison pour se laisser conduire uniquement par la vitesse et la puissance du son.

Le groupe n’est certes pas reconnu pour son sens de la mesure, sa discographie contenant nombre d’engins hautement explosifs, mais depuis Leave Home en 2011, il n’avait plus atteint ce niveau d’engagement dans la production d’une musique dont l’unique but paraît être le pétage de plombs. Non pas que le quatuor ait été, entre-temps, fade et inintéressant, bien au contraire, puisqu’il s’est sans cesse renouvelé au fil des ans, passant du punk à la soul et au country-rock, effectuant de grands-écarts surprenants mais toujours assez convaincants. La signature avec l’excellent label londonien Fuzz Club en 2023, après avoir enregistré la plupart de leurs albums pour Sacred Bones, basé à Brooklyn, les voyait revenir à un rock’n’roll primitif, irrigué par des influences high energy, et payant largement son tribut au punk new-yorkais des années 70. New York City pouvait être alors considéré comme l’album du retour aux origines, sans qu’il y ait dans cette démarche le moindre opportunisme ou désir pathétique de réécrire l’histoire. L’énergie était là, intacte, les compositions étincelaient, et le groupe brûlait à nouveau d’un feu sacré, après avoir voulu marcher dans les pas de Tom Petty ou des Rolling Stones. Dans la foulée d’une Fuzz Club Sessions sauvage et spontanée à souhait, The Men étaient prêts pour aller encore plus loin. Buyer Beware, c’est un fait, révèle ce désir fou de se transcender dans la furie sonique que l’on expérimentait, sidéré, à l’écoute de ce Leave Home légendaire et que l’on serait prêt à placer au même niveau que Fun House en terme d’épreuve-limite amenant à côtoyer l’au-delà des normes. Mais aujourd’hui, les américains délaissent les expérimentations à la Spacemen 3, qui développaient il y a 14 ans un punk noise difficile à s’engouffrer d’une traite, pour opter pour des formats très courts – les morceaux font tous moins de 4 minutes, et une bonne moitié tourne autour des 2 – où chaque instrument est mis dans le rouge du début à la fin.

Finalement, on est à un croisement Stooges / Dead Boys avec, sur la fin, un son de guitare pas si éloigné du hard rock. Les cinq premiers morceaux sont lancés pied au plancher, et offrent un déluge de sonorités saturées, de solos de guitares échappés de Raw Power, d’un piano joué façon bastringue, et d’un chant qui éructe, grogne, vocifère, hurle, et qui se soucie moins de se faire comprendre que de manifester l’urgence dont il est le porteur. Dans cette série diabolique, le titre éponyme tranche avec son saxo malade, mais c’est pour mieux laisser surgir la pure démence de Fire Sermon et les outrances assumées de PO Box qui donne l’impression d’entendre à nouveau Johnny Rotten. Charm marque une césure bienvenue, avec son déroulée plus mélodique et le duo masculin/féminin au chant. La seconde moitié de l’album ralentira davantage le rythme, ce qui n’empêchera pas de voir débouler la cavalcade infernale de Control, totalement en surchauffe. Pour autant, moins de vitesse implique aussi plus de menace, comme si en décélérant, The Men laissait s’introduire le chaos du monde environnant que sa course folle, sur les autres compositions, s’efforçait de traverser. Nothing Wrong est tendu et flippant, pour mieux rendre insensé la frénésie sur laquelle elle débouche ; The Path est d’une lourdeur terrible, le chant sert de guide – ferme, pesant et inébranlable – dans un paysage de désolation, et tout se termine avec Get My Soul et sa dernière accélération en forme de doigt d’honneur adressé à un monde en décomposition.

Buyer Beware, on le comprend assez vite, n’est que bruit et fureur, mais sa démesure est une réponse magistrale à l’aberration de l’Histoire. Dans la force et l’intensité de son cri, se révèle, au fond, notre capacité à toutes et à tous de résister à l’horreur pour qu’à la fin, même s’il n’y a plus d’autre choix que de faire face au néant, ne restent pas seulement des esclaves ou des monstres, mais aussi et encore des hommes.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Fire Sermon, Nothing Wrong, Control, The Path, Get My Soul


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