The Liminanas – ‘Faded’

The Liminanas – ‘Faded’

Album / Because / 21.02.2025
Pop psyché

Il est assez étonnant de se dire que, si on laisse de côté musiques de film et collaborations, le dernier album des Limiñanas sous leur seul nom date de 2018. Sept ans donc depuis Shadow People et la consécration nationale comme internationale qui s’ensuivit. De Pelicula, le projet avec Laurent Garnier, avait beau être excellent, son caractère à la fois plus sombre et plus tendu ne reflétait pas tout à fait ce qui constitue depuis ses débuts la parfaite singularité du duo de Cabestany, à savoir cette fusion improbable mais finalement évidente d’influences garage/psyché/krautrock avec des éléments empruntés au pan le plus stylé de la mouvance pop des yéyés. Les Limiñanas, de ce point de vue, indiquent que la voie du succès pour un groupe de rock français consiste … à ne pas oublier qu’il est français.

Faded, donc, fané, défraîchi, désuet, estompé … Le titre du nouvel album des catalan.e.s montre à nouveau l’importance du rapport au passé dans l’élaboration de leur univers musical. Sauf que Marie et Lionel n’ont jamais versé dans le trip nostalgique, leur démarche consistant bien plutôt à montrer l’actualité de ce qui n’est, à première vue seulement, plus. Pourtant, cette optique les confronte de façon inexorable à la fragilité des souvenirs, qui n’existent que par la force du lien que l’on cherche à créer avec eux. En ayant pour fil conducteur les stars à la gloire disparue ou vacillante, Faded explore justement ce rapport problématique au temps qui passe, ce moment où la réalité déchire le voile de l’illusion créé par la machine à rêves du cinéma. C’est ce que semble révéler Spirale, le morceau instrumental introductif, avec ses notes légères de piano donnant l’impression d’être les signes d’un retour progressif au réel après avoir séjourné trop longtemps dans le monde de la fiction. De là, les Limiñanas pourront laisser libre cours à leur capacité à mettre en sons leurs obsessions cinématographiques, mais sans suivre pour autant une narration linéaire, comme c’était le cas sur De Pelicula. Ici, chaque chanson, portée par une voix et une coloration musicale unique, semble plutôt être un point de vue sur le thème abordé plutôt qu’un moment précis d’une histoire se déroulant rigoureusement, ce qui donne à l’ensemble son côté bigarré et chatoyant, naviguant entre les genres et les styles, mais sans sacrifier toutefois les marqueurs essentiels de l’identité sonore de ses auteur.e.s.

Bobby Gillespie, le premier d’une longue série d’invités de marque, plante d’emblée le décor en dépeignant ce théâtre de la cruauté qu’est la célébrité et fait ainsi de l’ambiance swinging London de Prisoner of Beauty la vitrine d’un album exposant les tensions inévitables entre l’être de la star et son apparence, jusqu’à leur séparation définitive et douloureuse. On pense inévitablement à Gloria Swanson, dans le Sunset Boulevard de Billy Wilder, pathétique dans sa tentative de se faire passer pour ce qu’elle a été, du haut de l’escalier de sa villa décrépie. Juste après, on pensait se retrouver en terrain familier avec Bertrand Belin, devenu un habitué des albums des Limiñanas, mais celui-ci parvient à surprendre en livrant avec J’adore Le Monde l’un de ses meilleurs textes, excellant dans l’équilibre casse-gueule entre humour absurde et prise de conscience existentielle. Rover, lui, apporte ce qu’il faut de puissance aux refrains de Shout pour donner de la hauteur à ce morceau plus pop, et assure par là même un beau contraste avec la prestation de Penny, qui embarque Faded du côté des Ronettes. Les morceaux en français, plus fidèles à ce que l’on connaissait déjà du duo, montrent à nouveau son talent et son originalité pour adapter la langue de Molière à un univers musical qui lui a souvent résisté par le passé : l’élégante discrétion d’Anna Jean (du groupe Juniore) sur Catherine fait mouche, et quant aux deux adaptations de la poésie de Bernard Heidsieck, Tu Viens Marie et Autour de Chez Moi, on retiendra surtout la seconde qui, sous l’apparence d’une simple énumération des particularités d’un voisinage, délivre une leçon politique d’une intelligence et d’une efficacité rares.

En milieu d’album, l’instrumental The Dancer, en hommage à Foulques De Boixo – présent dans le clip de Dimanche et dansant parfois derrière le groupe, sur scène, avant son décès en 2023 – ouvre l’espace et libère l’électricité, amorçant avec audace la seconde partie du disque, marquée notamment par les deux performances de Jon Spencer. Space Baby, plus particulièrement, attire les Limiñanas du côté de la no wave, laquelle imprégnera également l’étonnante et convaincante reprise de Louie Louie, chantée par Marie et, semble-t-il, hantée par Cherree, le classique de Suicide. C’est toutefois avec la pop tendrement crépusculaire de Où Va La Chance que se clôturera Faded, basculant progressivement à nouveau dans le rêve, dont Spirale, le premier morceau nous extirpait délicatement. Tout s’estompe alors définitivement, jusqu’à ce que de nouvelles illusions, peut-être, fassent leur apparition.

Faded ne réoriente ni ne renouvelle la discographie des Limiñanas, il en dévoile surtout, sans lassitude, les particularités distinctives pour mieux en souligner la valeur. On parle de cette mission dont s’est chargé le duo, et qui consiste à s’approprier ce qui, dans le passé, faisait souffler un grand vent de liberté. Que ce soit les gifles de fuzz distribuées sans compter, la rythmique motorik propice à la transe ou les aspirations à la légèreté extraites soigneusement de la pop culture – en passe de devenir, à l’aune du présent, une forme de contre-culture -, tout nous ramène à ce qui vit intensément dans cette musique : non pas le fantasme du monde d’avant, mais la promesse toujours renouvelée d’un futur grand ouvert, où la liberté qui s’y exprime abat tous les murs, tous les carcans, toutes les frontières.

VIDEO
ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
J’adore le monde, The dancer, Space baby, Autour de chez moi, Où va la chance ?

EN CONCERT

2 Comments
  • Kingeddie
    Posted at 11:34h, 23 février Répondre

    Il y a deux options :
    soit vous êtes déjà dépressif et l’écoute de cet « album » ne changera pas grand chose à votre état mais ne participera pas à vous faire retrouver le sourire
    soit vous n’êtes pas encore dépressif et vous risquez tout simplement de le devenir en écoutant cette infâme bouillie sonore
    Le « single » « j’adore le monde » avait vaguement aiguisé ma curiosité avec ses relents d’un Philippe Katerine fatigué mais hélas le reste de la galette est indigeste au possible, transformant le reste de l’écoute en véritable séance de torture…
    Si vous aimez la vraie musique, celle jouée par des vrais musiciens qui savent composer avec plus de 3 accords et avec des textes qui n’auraient pas été écrits sous opiacés, alors fuyez ce CD, il en va de votre santé mentale et physique…seul réconfort,je n’ai pas eu à débourser un rond pour l’écouter, c’eût été le coup de grâce…

  • Ron
    Posted at 00:06h, 03 mars Répondre

    Tu dois sûrement être dos au soleil pour avoir une perception aussi sombre et ombragée ..
    Je ne vois absolument pas les choses sous le même angle.
    L’éclairage peut être ?👽

Post A Comment