
26 Mar 24 The Jesus And Mary Chain – ‘Glasgow Eyes’
Album / Fuzz Club / 22.03.2024
Rock
En 2021, The Jesus And Mary Chain partait en tournée pour jouer Darklands, son chef d’oeuvre de 1987, dans son intégralité. Guitaristes, bassiste et batteur se tenaient alors sur une même ligne en fond de scène, laissant la plus grande part de celle-ci vide. Jim Reid occupait seul les avant-postes, le plus souvent statique mais plein de cette présence auratique que possèdent les personnes devenues au fil du temps de véritables mythes. On s’étonnait face à un tel dispositif, et l’on se disait que, peut-être, le groupe représentait de cette façon sa progressive disparition, le temps le poussant petit à petit vers les coulisses, tout en célébrant la place de choix qu’il en était venu à occuper dans la mémoire de son public. Nostalgiques, les concerts l’étaient assurément, comme le sont tous ceux qui célèbrent un disque important, et on n’imaginait alors pas que le groupe de East Kilbride en Ecosse puisse s’atteler à un nouvel album susceptible de marquer le présent. Pourtant, on aurait dû s’en souvenir, s’il est bien une constante chez les frères Reid, c’est bien l’imprévisibilité : ont-ils déjà été là où nous attendions qu’ils soient, en cédant à la facilité de reproduire une formule éprouvée ? Le tumulte qui caractérise leur propre histoire ne les voue-t-ils pas à demeurer des singularités, forcément hors-normes ?
2024 et quarante ans de carrière à fêter confirme que The Jesus And Mary Chain n’est pas encore une chose du passée et qu’il est encore capable de surprendre en publiant un huitième album (en laissant de côté les compilations) révélateur, à nouveau, de sa capacité à se réinventer et de jouer le plus sincèrement possible la musique qu’il aime. C’est cette attitude qui explique, d’ailleurs, que la discographie du groupe, tout en ayant ses faiblesses, reste exempte de toute indignité : William et Jim Reid ont bien leurs aspirations et obsessions communes, permettant d’identifier leur style et leur démarche, mais ils ont toujours maintenu intacte l’exigence de les incarner, sur chaque album, sous une forme nouvelle. Et ce n’est pas rien de pouvoir se tenir face au public, au bout de quarante années de bruit et de fureur, sans aucune tâche d’ordre esthétique, animé toujours par la même la foi en la musique.
Glasgow Eyes, bien entendu, ne rivalise pas avec Psychocandy ou Darklands, et personne ne pensait qu’il le ferait, d’ailleurs. Mais ce nouveau disque, s’il peut bien parler du passé et distiller une forme de nostalgie, ne s’offre pourtant jamais comme l’expression fatiguée et usée d’un vieux groupe. Il possède, au contraire, une réelle authenticité qui lui permet de concentrer toute la pureté de l’essence de The Jesus And Mary Chain, à savoir ce goût indécent mais excitant de salir de belles mélodies. Cela vient sans doute de la manière de procéder des deux frères qui, selon leurs propres termes, laissent les choses se faire lorsqu’ils rentrent en studio, ce qui signifie en réalité expérimenter sans a priori afin de s’ouvrir à l’étrange et à l’inédit. Ici, les guitares se couplent aux machines, donnant à l’album une coloration plus électronique que les précédents, rappelant de façon lointaine le synthpunk de Suicide.
Il y a tout d’abord les morceaux les plus immédiats et agressifs, Venal Joy et Jamcod, de pures giclées électriques sur fond de rythmiques et bruitages électroniques, évoquant quelque peu Automatic, l’album de 1989. Ensuite, se découvrent des titres dans un esprit plus classic-rock, le presque glam The Eagles And The Stones qui voit Jim Reid citer toutes ses influences en leur attribuant à chacune un rôle dans sa vie (‘I’ve been rolling with the Stones, I grew up with the Beatles, I got drunk on Crystals…’) et le basique mais plein d’espoir Girl 71 en duo avec Rachel Conti. Et il y a enfin et peut-être même surtout les titres plus expérimentaux, minimalistes dans la mélodie principale mais développant autour de celles-ci des sonorités étranges : American Born et sa fausse naïveté, Silver strings et son chant grave menaçant la clarté des cordes, Mediterranean X Film et Discothèque avec leurs atmosphères indécises, Chemical Animal habité par une voix lancinante et inquiétante, Pure Poor et sa manière de traiter la guitare comme si elle avait à racler des bouts de verres, Hey Lou Reid avec ses deux parties rendant hommage, pour la première, au Velvet Underground et, pour la seconde, au Lou Reed des seventies. Et il y a enfin ce morceau bouleversant, Second Of June, qui tente de faire face à l’orage qui vient en célébrant la force des liens familiaux, incarnée dans l’oeuvre collective des frères Reid (‘Face the sky / Take cover before you die / Jesus and mary chain’), et qui s’impose comme un touchant bilan d’une existence fiévreuse cherchant – et peut être même trouvant enfin – son apaisement.
Glasgow Eyes n’est donc pas l’album d’un groupe niant le passage du temps en s’efforçant de parodier sa propre histoire, c’est celui de deux personnes dont la conscience forcément inquiète de l’avenir est soutenue par la mémoire d’un passé à la sombre splendeur, le leur mais également celui des références qui les ont toujours inspirés et qu’ils semblent écouter aujourd’hui avec la même intensité qu’aux premiers jours. C’est aussi l’album de deux frères ayant fait de leurs relations conflictuelles, pendant quarante ans, une cause de création comme de destruction mais qui, au bout du compte, apprennent à les vivre pour qu’elles ne portent plus ombrage à cette entité les dépassant tous deux, The Jesus And Mary Chain. C’est finalement, en ce sens, l’album d’une victoire, et peut-être même d’une rédemption.
A ECOUTER EN PRIORITE
Venal Joy, The Eagles And The Stones, Second Of June, Pure Poor, Hey Lou Reid
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