07 Nov 24 The Cure – ‘Songs of a Lost World’
Album / Polydor / 01.11.2024
Post punk goth
Nous y voilà. Après seize ans d’attente, l’arlésienne touche à sa fin. Promis par Robert Smith depuis longtemps, maintes et maintes fois repoussé, il faut bien avouer une chose : ce quatorzième album, nous avions cessé d’y croire. Et pourtant. En remettant son titre en jeu, la formation nous rappelle qu’il fallait jusqu’ici remonter au siècle dernier pour y dégotter son dernier vrai chef d’œuvre (Disintegration, s’il faut encore le nommer). Il y a bien eu une poignée de disques honorables ensuite, mais la légende s’écrivait désormais ailleurs : sur scène, où le groupe fait depuis toujours des merveilles. Comme lors de la dernière tournée européenne il y a deux ans, où cinq des nouveaux morceaux avaient été dévoilés. Le chanteur aux cheveux hirsutes ayant perdu ses parents et son frère ces dernières années, Songs Of A Lost World ne pouvait être qu’un album de deuil. Un album noir, précieux, quasi testamentaire. Il pourrait s’agir du dernier album des Cure et même, quelque part, du dernier album de l’humanité, aussi imparfait et fragile soit-il. Huit titres pour près de cinquante minutes de musique, une forme idéale pour un adieu. À moins qu’il s’agisse d’un nouveau départ.
Plus élégiaque que jamais, loin de l’usine à tubes qu’a pu être parfois le groupe dans les années 80, ces chansons d’un monde perdu sont austères, presque arides. Pourtant, les arrangements luxuriants leur confèrent une certaine chaleur, ou disons plutôt une ampleur, tantôt grandiose tantôt pompière. Les morceaux se suivent… et se ressemblent quand même beaucoup. Plus qu’une collection de chansons, il s’agirait plutôt ici d’un monolithe, dressé sur l’autel d’une carrière de près d’un demi-siècle. Un demi-siècle de rêves et de magie, de névroses et de mélancolie aussi. The Cure fait en réalité ce qu’on attend d’un album des Cure, du moins dans sa facette la plus contemplative et obscure. Pas vraiment de surprises, si ce n’est celle de retrouver ces sexagénaires au top de leur forme. La voix de Smith, intemporelle et inaltérable, touche toujours droit au cœur, et fait même parfois encore monter les larmes. La précision chirurgicale du jeu de basse de Simon Gallup fait aussi des merveilles aux côtés de la batterie ardente et organique de Jason Cooper. Les claviers du discret Roger O’Donnell, parfois un peu minés par des textures d’un autre âge, enrobent le tout et offrent même à Reeve Gabrels, ex-collaborateur de Bowie à la six cordes, un large espace pour ses solos bavards mais étonnamment cohérents avec ces nouvelles compositions. Un peu comme si cette touche grandiloquente révélait encore d’autres aspérités de ces morceaux épiques empreints d’un grand lyrisme. Warsong, sommet du disque, rappelle que le groupe est aussi bon dans ses penchants minimalistes que dans ses frasques électriques, denses et fiévreuses. ‘All we will ever know, is bitter ends for we are born to war’, le temps n’est donc toujours pas à la paix. Ni avec soi-même, ni avec les autres. Mais cette fois-ci, le collectif l’emporte, même si Smith signe de sa seule main tout l’album. Dans ses paroles, l’emploi du pronom de la première personne du pluriel est omniprésente, plus encore que la subjectivité du ‘je’ pourtant si chère à l’idéal romantique. Il ne pouvait en être autrement d’un disque qui débute par ces mots : ‘This is the end of every song that we sing’. Avant de poursuivre un peu plus loin, toujours dans Alone : ‘We were always sure that we would stay the same’. Cela tombe bien car, les mêmes, ils le sont.
Icônes gothiques, pourfendeurs d’un spleen désormais intergénérationnel, The Cure ne se refait pas comme ça. Il y a bien-sûr tout d’abord ses déchirantes chansons d’amour : And Nothing Is Forever, où Smith dépeint sa crainte de vieillir seul, sans sa chère et tendre, ou encore A Fragile Thing, où il prête directement sa voix aux paroles de sa muse. Un titre âpre, intranquille, entre déclaration passionnelle, constats amères, reproches et fatalités. Drone:Nodrone, hormis son côté assez bancal, a le mérite de proposer une belle énergie et un gimmick mélodique entêtant, tout comme le mélancolique I Can Never Say Goodbye, dédié au frère disparu de Robert Smith. All I Ever Am, chanson la plus faible du disque, sonne elle comme une tentative désespérée d’échapper au temps qui passe. Mais il ne faut pas oublier que, chez les Cure, le côté gentiment kitsch peut rapidement vous laisser sur le carreau si vous n’êtes pas absorbés par les mortels marécages de la mélancolie. Pour les autres, on savourera le morceau de clôture Endsong qui, outre ses plus de six minutes de mise en bouche (!), se hisse d’emblée parmi les chansons les plus ambitieuses du groupe, toujours tourné vers son propre crépuscule : ‘It’s all gone […] left alone with nothing’.
Mais tout cela n’est pas rien, puisque tout cela n’est pas vain. Si c’est la fin d’un monde, la fin d’une ère peut-être, ce n’est certainement pas la fin des Cure. Parfois décevant, souvent envoûtant, le traitement ne fait que commencer : voilà un disque qui ne peut laisser de marbre.
Photo : Sam Rockman
A ECOUTER EN PRIORITE
Alone, A Fragile Things, Warsong, Endsong
Fabrice E
Posted at 11:54h, 07 novembrePlus je l’écoute et plus je l’aime. C’est un grand disque.
Par contre, grosse déception pour la qualité du son. Il est beaucoup trop compressé (DR 5).
Robert Smith devrait arrêter toute activité musicale en 2029 pour ses 70 ans, il prévoit de sortir encore deux albums : un plus pop et un plus « bruitiste ».
Pif75
Posted at 15:53h, 07 novembreJe trouve pour ma part cet album bien médiocre. Je n’entends rien de la magie de leurs grands albums, juste une succession monotone de mélodies interchangeables, une surenchère dépressive boueuse et surfaite, une production brouillonne et illisible, une absence totale d’ambition musicale. Je trouve bien étrange la consécration médiatique qui leur est faite aujourd’hui, surtout quand on sait le temps qu’il leur a fallu pour nous pondre ça,