20 Mar 19 The Comet Is Coming – ‘Trust in the Lifeforce of Deep Mystery’
Album / Impulse / 15.03.2019
Jazz cosmique hardcore
The Comet is Coming… Peu de groupes peuvent se targuer d’aussi bien porter leur nom à un moment donné de leur existence. Là où nombre de musiciens se sont échoués, fourvoyés ou même fracassés sur l’écueil du second album, Trust in the Lifeforce of Deep Mystery apparaît comme une confirmation des immenses attentes suscitées pour donner suite à l’excellent Channel The Spirits. Par le biais de son nouveau label Impulse!, le trio annonça pour cette deuxième création s‘être mis pour humble objectif de ‘répondre aux questions universelles par des vérités universelles‘.
Car c’est rien de moins que le renouveau du jazz dont il est question lorsqu’on évoque cette nouvelle scène londonienne foisonnante dont la pierre angulaire est le saxophoniste-clarinettiste britanno-barbadien Shabaka Hutchings, le leader des Sons of Kemet, Shabaka and the Ancestors (sans oublier ses collaborations avec Sun Ra Arkestra, Floating Points, Yussef Kamaal, Mulatu Astatke ou Heliocentrics – excusez du peu…). Shabaka est également présent dans ce projet, occupant toutefois une place moins centrale, secondé par Danalogue (Dan Leavers) aux synthés et Betamax (Max Hallett) à la batterie.
Because The End is Really Beginning confirme que, comme l’écrivait Boris Vian, ‘l’attente est un prélude sur le mode mineur‘. Un délice psyché aux teintes orientales et une montée soulignée par de délicates percussions et des notes de sax coltranien donnent le ton avant… une succession effrénée de morceaux. On épinglera Summon The Fire, véritable déluge sonore onirique guidé par un sax gonflé à la dopamine, rythmé par une batterie déchaînée et des nappes électroniques hypnotisantes. L’enchaînement est abrupt vers le superbe Blood of The Past qui évoque des thèmes universels tels que la vanité, le capitalisme, le déconnexion sociale, etc.
Ce qui continue d’impressionner dans le son de Comet is Coming, c’est sa lourdeur et sa frénésie extrêmes… Un son habilement sublimé par des notes de sax énervées qui confère au groupe une originalité toute particulière et un intérêt à exister parmi les nombreux autres projets londoniens. Ce qui interpelle est un processus créatif mêlant improvisation, puisque les compères se voient peu et doivent intégrer les évolutions personnelles de chacun, et production soignée, œuvre de Betamax et Danalogue. Le beat funk élégant de Birth of Creation, autre sommet incontestable sur lequel semble léviter la clarinette, témoigne du travail accompli. Tout aussi intéressantes sont les réflexions proposées par le groupe qui confiait en interview se questionner sur la biologie transcendantale et la place de la technologie dans nos vies d’aujourd’hui. Est-ce que la vie se résumera bientôt à une information à traiter ? Un motif à exploiter par l’intelligence artificielle?
Un autre marqueur de leur originalité, qui explique probablement leur rayonnement international mais aussi transgenre, est leur capacité à imbriquer divers genres musicaux. Leurs influences sont indubitablement ancrées dans l’œuvre du couple coltranien, dont Impulse fut notamment le label, ou le jazz cosmique de Sun Ra, mais le rock progressif de King Crimson n’est pas non plus bien loin sur cet album. Comme annoncé dans les médias, Trust in The Lifeforce of Deep Mystery envisage le 21ème siècle comme ‘un jazz spirituel quelque part entre Alice Coltrane et Blade Runner’. C’est toutefois réducteur tant le groupe se nourrit d’autres sonorités nous transportant entre psyché (Because The End is Really Beginning) et hip-hop (Blood of the Past avec la poésie de Kate Tempest) avec une spontanéité totalement désarmante mais un fil rouge bien avéré : exploser – ou a minima chatouiller – les limites du jazz. Certains parleront de hardcore jazz car c’est effectivement brutal. Pas complètement absurde donc, mais il semble inutile d’accoler une étiquette aux londoniens. Prenez le dyptique final Unity/The Universe Wakes Up, où les notes de sax recouvrent avec délicatesse une batterie méditative : on est dans le défi des étiquettes jusqu’ici accolées par les médias britanniques.
Dans la sphère du jazz, être témoin des premiers chefs d’œuvre de monstres sacrés est extrêmement rare, ceux-ci ayant surtout émergé au siècle passé, exception faite de Thomas de Pourquery et son Supersonic géographiquement plus proches de nous. La présence de la sphère Shabaka est donc un privilège et ce Comet is Coming pourrait bien en être son point d’orgue. En tout juste 45 minutes, la comète s’est bel et bien posée, avec fracas mais aussi délicatesse, sur notre sol terrien chahuté.
A ECOUTER EN PRIORITE
Summon The Fire, Blood of the Past, Unity, Birth of Creation
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