
16 Sep 22 The Black Angels – ‘Wilderness of Mirrors’
Album / Partisan / 16.09.2022
Rock psychédélique
Quels disques surgis du passé provoqueront un long frisson dorsal aux adolescents de 2035, le même qu’a pu ressentir un jeune homme de 1995 écoutant les Doors pour la première fois? Peut-on imaginer que les Black Angels traversent ainsi les années, et que Passover puissent toujours clouer sur place un auditoire du futur proche ? En attendant la postérité, les Texans commencent à acquérir une longévité intéressante, seize ans après leurs premières détonations.
Les rapports entre humains, entre l’individu et la société, ont toujours été leur première source d’inspiration, surtout lorsqu’ils sont déséquilibrés. Aliénation, domination hantent leurs compositions et ce nouvel opus n’y coupe pas. Il débute par une guitare bourdonnante suivie par le cri d’un guerrier indien. Without a Trace questionne : ‘Is it still possible / To be invincible / When everyone else is expendable / Is it still possible / To be alarming /To be an army’. Le groupe repart en guerre et rassemble ses troupes sans agressivité, avec la puissance sereine qu’on lui connaît. Empires Falling accélère le tempo avec son refrain quasi-punk. Le titre parle de lui-même : quand tout s’effondrera, ils s’installeront aux premiers rangs des spectateurs, avec un paquet de chips pour admirer le feu d’artifice. Les sujets d’indignation sont intarissables et le mur qui a surgi à la frontière mexicaine en est un qui touche de près les Texans. Il en résulte La Pared (Govt. Wall Blues), un de ces morceaux intenses qui ont fait leur réputation, qui reçoit en plus le renfort d’un mellotron sonnant l’alarme. Un désespéré ‘You can build this wall of hate / But we will never separate’ conclut.
Mais alors que les Black Angels avaient bâti leur renommée sur un son lourd et implacable, des rythmiques martiales qui les rendaient inébranlables, des ambiances sombres, Wilderness of Mirrors compte des compositions plus subtiles et délicates. The River nous noie dans ses eaux hautement psychédéliques, la voix d’Alex Maas est soudainement si fragile qu’il en émane une tristesse communicative. On avait eu ce ressenti à l’écoute de Luca, son premier album solo. Ce spleen déborde sur le groupe et comme souvent, il s’en dégage une certaine forme de beauté. Ont-ils déjà écrit un morceau aussi beau et lumineux que 100 Flowers of Paracusia ? Ces fleurs, produits d’hallucinations auditives, ramènent à la Californie des Byrds et de Jefferson Airplane, délaissant ainsi les héritages de Roky Erickson et du Velvet pour quelques minutes magnifiques. Au rayon des curiosités, ils tentent un hommage à la pop française des 60’s avec Firefly. LouLou Ghelichkani de Thievery Corporation prend le rôle de la French Demoiselle, mais pour le côté ingénue (ou faussement ingénue), on repassera. ‘Contrôle, domination et souffrance’ sont les mots susurrés, et l’anxiété d’Alex Maas est toujours affleurante. Non, le style yéyé ne leur sied point.
Les Black Angels atteignent un âge où l’on peut souffrir d’un certain désintérêt, par attrait de la nouveauté. On sait que l’on aime ce groupe, mais en même temps, il y a peu de chance qu’il surpasse aujourd’hui ses meilleurs albums. Wilderness of Mirrors en est un riche de seize morceaux, moins monolithique que certaines productions passées, donc plus inégal, manquant un peu de liant, mais il serait pourtant dommage de passer à côté. Ici, le groupe accepte par moments de se défaire de cette armure sonore, bâtie par Christian Bland notamment, pour plus de sincérité. Il a aussi intégré le multi-instrumentiste Ramiro Verdoreen pour plus de diversité. A ce moment charnière où ils pourraient basculer dans le passé ou pire, être étiquetés ‘Classic Rock’, les Black Angels se soucient de l’avenir. Démonstration sur El Jardin, premier single dévoilé qui imagine la redécouverte des arbres, des herbes et des plantes dans un futur proche. On pourrait crier à l’opportunisme, à l’utilisation du thème de l’urgence climatique, mais il rentre clairement dans les batailles que mènent le groupe depuis ses débuts. Nul doute qu’il devrait avoir encore des choses à dire, des injustices à dénoncer, des peurs à exprimer dans les prochaines années : il n’y a pas d’âge pour être conscient de son époque.
A ECOUTER EN PRIORITE
La Pared (Govt. Wall Blues), The River, 100 Flowers of Paracusia, El Jardin
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