The Armed – ‘Perfect Saviors’

The Armed – ‘Perfect Saviors’

Album / Sargent House / 25.08.2023
Post hardcore – Rock

Depuis Ultrapop, on connait le véritable secret de The Armed qui n’était finalement pas l’identité encore cachée de ses membres à l’époque. Si vous avez suivi nos fines investigations dans notre chronique précédente, vous savez déjà que la bande de Detroit est en réalité menée par Tony Wolski, membre de Genghis Tron et coproducteur officiel de ce tout nouveau Perfect Saviors, au côté de Ben Chisholm et Troy Van Leeuwen (de Queens Of The Stone Age). La vraie clé du mystère The Armed, toutefois, c’est ce qui les a poussés à se cacher. Et la réponse, c’est évidemment internet – son trop-plein d’informations, ses algorithmes, ses intelligences artificielles, ses manipulations et mensonges. Ce qui a eu un effet notable sur la musique elle-même. En passant trop de temps en ligne, ces mosheurs musclés (sans oublier la mosheuse) se sont ainsi au passage convertis à l’hyperpop, injectant appels du pied putassiers et sonorités synthétiques dégoulinantes de glucose à leur metalcore-indus de départ. D’où Ultrapop, qui déployait une version post-hardcore des errements stylistiques d’un 100 Gecs – certes plus intéressante mélodiquement parlant, mais toute aussi imprévisible dans sa façon de mêler ‘bon’ et ‘mauvais’ goût.

Tel Tony Stark dans Iron Man, The Armed fait donc tomber les masques aujourd’hui, même si le collectif – ‘présenté par Kurt Ballou’ de Converge – reste une entité aux contours encore un peu flous. Sur les crédits ornant la pochette de Perfect Saviors, les noms des musiciens du groupe se mélangent ainsi avec ceux des invités prestigieux (Julien Baker de Boygenius; Josh Klinghoffer, ex-Red Hot Chili Pepper; Jacob Bannon, toujours dans Converge; Matt Sweeney de Chavez; deux Jane’s Addiction…). Ici ou là, on croit reconnaître certain.e.s de ces invité.e.s au milieu du maelstrom saturé – particulièrement la sublime voix de Baker dans l’apothéose concluant le délicat origami de Sport Of Form. Mais rien dans le mix ne confirme les choses de manière définitive pour les autres, renvoyant à cette utopie d’une musique anonyme et communale encore très prégnante sur Perfect Saviors.

On ne s’y trompera pas, toutefois, la facture relativement digeste de ce cinquième album est symptomatique du processus de ‘normalisation’ qui affecte The Armed aujourd’hui. Tout comme elle est l’aboutissement de leur trajectoire musicale ces dernières années. Le mix d’Alan Moulder canalise avec un certain brio la foisonnante matière sonore. La voix claire de Tony Wolski est tour à tour suave ou aérienne. Les incursions électroniques sont plus soyeuses que bruitistes. Et les compositions 100% sauvages à la Botch ou The Dilinger Escape Plan ont tout simplement disparu. À part de très courts blast-beats, quasi-subliminaux, et une propension au maximalisme devant encore quelque chose à la frénésie du hardcore, Perfect Saviors est ni plus ni moins un album que tout auditeur lambda ira facilement qualifier de ‘rock’ aujourd’hui. Arena-rock, indie-rock, punk-rock. Mais rock avant tout.

Reste à savoir si The Armed compte sérieusement sauver ce dernier de la médiocrité ambiante, au vu du titre de l’album. Ou si, une fois de plus, tout ceci n’est qu’ironie postmoderne. L’incroyable Everything’s Glitter, avec son couplet dantesque, ses lignes vocales entêtantes, et son final épique à la The Strokes période Room On Fire / First Impressions Of Earth, nous avait laissé entendre que oui, The Armed était bien capable de le sauver, ce bon vieux rock’n’roll dévoyé de toutes parts. Mais à l’image des trois personnages ambigus ornant la pochette de Perfect Saviors, l’affaire s’avère un peu plus complexe que ce premier extrait le suggérait au départ. Quoi, ces trois clowns peinturlurés ne sont pas des vrais héros, ce sont juste des freaks, n’allez pas chercher plus loin que ça ! The Armed aurait donc juste trouvé ici une nouvelle façon de se foutre de notre gueule, à l’image d’un tracklisting qui dissimule ses chansons les moins marquantes en saupoudrant moments de grâce et autres highlights aux points les plus stratégiques. Des moments de grâce comme la mélancolie cyberpunk du titre d’ouverture Sport Of Measure, ou encore le doublé gagnant Burned Mind-Sport Of Form citant tour à tour Nine Inch Nails et Animal Collective au beau milieu du disque.

Mais est-ce suffisant ? Sur Only Love, et même sur Ultrapop, des morceaux bien plus sombres et violents que les pourtant intenses FKA World et Clone relançaient la dynamique entre les étapes pop-rock-indus. Cet effet ‘montagnes russes’ est volontairement moins net ici. Rien de forcément indigent dans ce lissage fait pour amadouer les foules. Juste business as usual, une expression que l’on ne pensait pas forcément utiliser pour décrire la musique de The Armed un jour. Deux titres notables, toutefois : Liar 2, clin d’œil disco-punk qui fera probablement à peine sourciller les clients de la boutique Viagra Boys, mais qui reste objectivement sympathique. Et le spectaculaire Public Grieving en conclusion de l’album, beaucoup plus aventureux avec son groove polyrythmique, ses voix éthérées, sa progression harmonique, et ses solos jazz-fusion de piano, basse, flute et saxo. Au programme : Mahavishnu Orchestra, Steely Dan, Yes, le Converge rentré de You Fail Me et le Talk Talk de toutes les périodes. Toi aussi, cherche l’intrus.

Dans un monde normal, les super-héros de The Armed auraient dû exploser les charts et sauver le rock mainstream il y a un album ou deux. Le script final ne l’a pas entendu de cette manière, et on se demande si Perfect Saviors, dans sa façon de filtrer tout ce qui faisait le sel d’Only Love et Ultrapop, ne court pas après cette opportunité manquée. Ou alors s’il fait semblant de le faire – ce qui revient au même pour ces farceurs férus de pastiches et autres entourloupes conceptuelles. Dans un monde ‘normal’, The Armed n’existerait pas, toutefois. Philosophe, Tony Wolski a récemment expliqué à la presse que pour lui, l’échec fait partie de tout processus créatif qui en vaille vraiment la peine. En postulant que Perfect Saviors soit un échec relatif, on se dit que ce dernier reste a minima beaucoup plus attachant que bien des pseudos ‘réussites artistiques’ actuelles. Au beau milieu d’un défilé de simulacres, c’est parfois l’illusion la plus évidente qui crée les plus beaux reflets.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Sport Of Measure, Everything’s Glitter, Burned Mind, Sport Of Form


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