07 Nov 21 The Acharis – ‘Blue Sky/Grey Heaven’
Album / Cranes Records / 05.11.2021
Cold Wave – Shoegaze noise rock
Les âmes torturées s’aimantent les unes par rapport aux autres, on le sait déjà. Mais leur union fabrique-t-elle les plus beaux amants ? Shaun Wagner et Mila Puccini semblent avoir leur propre idée sur la question. Couple à la scène comme à la ville, multi-instrumentistes, passant au chant l’un et l’autre au gré des humeurs, le duo a ainsi écumé pendant quelques années la scène arty de la baie de San Francisco et d’Oakland avant de conjuguer ses forces et ses fragilités au sein de The Acharis. En 2017, il y eut d’abord Lost In The Vortex, au rendu DIY et foutraque, clairement autoproduit. Mais c’est bel et bien avec ce tout nouveau Blue Sky / Grey Heaven que les intentions de Wagner et Puccini, parfois un peu trop nébuleuses par le passé, commencent enfin à se préciser.
Ce besoin de clarté – toute relative, on rassurera les fans du genre ici – est très certainement la raison pour laquelle les deux californiens ont décidé cette fois-ci de s’adjoindre les services d’une pointure dans la catégorie cold wave-shoegaze gothique à la sauce 4AD – à savoir John Fryer, membre essentiel du légendaire projet This Mortal Coil. L’esthétique du producteur de Cocteau Twins, Swans ou encore Wire, correspond en effet parfaitement à cette petite dizaine de titres alternant entre expérimentations mystiques à la Ivo Watts-Russel (Traces), proto-grunge recyclant les chœurs déjantés du Tame des Pixies (Devil Locke), dream pop faisant de gros clins d’œil à Dead Can Dance et Siouxie and The Banshees (Soft Inside), synth-wave aux basses modulées, menaçant de se déphaser à tout moment (Jesus Thrills), ou encore power-shoegaze tiraillée entre Slowdive et Brian Jonestown Massacre (False Positive). Le tout enrobé par une grosse louche de guitares noise versée dans la marmite, voire de sonorités quasi-indus parfois…
On l’aura compris, même si l’ensemble sonne un peu plus pro ce coup-ci, c’est encore bien le bordel, et c’est finalement une bonne chose pour l’auditeur qui pourrait au départ craindre un ensemble un peu trop ‘sous influence’, en tout cas sur le papier. La personnalité particulière de The Acharis tient en effet à cet aspect un peu brinquebalant, ici canalisé par la production, et heureusement jamais bridé. Par moments, cette production met en lumière de jolis éclats de voix – comme sur In The Blue Room, où Mila Puccini rappelle Elizabeth Fraser. Mais Fryer sait également privilégier ce qui grince et dissone au milieu des mélodies mineures et poignantes, bref ce qui ne ressemble qu’à The Acharis. En attestent les guitares acoustiques atonales en conclusion de Soft Inside, ou les irrégularités harmoniques et rythmiques du titre final, (One Can Only Know Your Name) What A Shame. Sur cette dernière balade goth, tapissée de lignes de cordes classiques à l’élégance évidente, beaucoup penseront forcément à Chelsea Wolfe. Mais cette influence de plus ne devra tromper personne : dans le donjon de The Acharis, ce morceau n’est qu’une salle parmi tant d’autres.
Blue Sky / Grey Heaven n’offre ainsi qu’un court aperçu du labyrinthe dans lequel ses concepteurs aiment à se perdre, et c’est le principal grief que l’on pourra leur faire ici – grief d’autant plus notable que le long drone de Grey Heaven sur la deuxième face n’apporte pas de pierre essentielle à l’édifice. Mais à l’exception de cette piste, ce qui nous attend derrière chaque nouvelle porte nous intrigue à chaque fois, et souvent nous ravit. Au vu du foisonnement qui semble agiter cet étrange couple d’un bout à l’autre de leur album, c’est déjà beaucoup de nous laisser les suivre ainsi, sans véritable fil d’Ariane, mais sans jamais nous perdre complètement non plus. Avec, peut-être, une gorgone monstrueuse ou un sublime minotaure derrière d’autres portes à l’avenir…
A ECOUTER EN PRIORITE
Devil Locke, Soft Inside, Jesus Thrill, In The Blue Room, (One Can Only Know Your Name) What A Shame
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