TH Da Freak – ‘Indie Rock’

TH Da Freak – ‘Indie Rock’

Album / Howlin Banana / 16.06.2023
Indie rock

Récapitulatif de l’histoire récente : le cinquième album de Th Da Freak avait nécessité quatre ans de gestation, pour un résultat des plus brillants. À l’unanimité, Coyote alignait les morceaux les plus réussis de leur auteur, sublimés par une production à la hauteur de la qualité de son songwriting. Mais à la surprise générale, Thoineau Palis sortait six mois plus tard sur Bandcamp, et en téléchargement gratuit pour 48h seulement, un nouvel album que le jeune label bordelais Les Disques Du Paradis est finalement parvenu à éditer en collaboration avec Howlin’ Banana et Flippin’ Freaks.

En apprenant qu’Indie Rock avait été enregistré en parallèle de Coyote, on s’apprêtait trop facilement à l’aborder avec détachement : allait-il exprimer un besoin de délassement, un désir de digression, ou une soif inassouvie d’expérimentation ? Rien de tout cela, tant il est évident, dès la première écoute, qu’on a là une œuvre parfaitement cohérente, véritablement grisante, et intensément émouvante. Si le précédent album assumait franchement de faire de la pop ou de la folk, sans craindre ni la sophistication dans l’instrumentation, ni la limpidité et l’évidence mélodique, celui-ci, comme son titre l’annonce bien, ressert le champ musical et évolue clairement dans l’univers de la musique indé, des années 90 qui plus est. Rien de bouleversant, a priori, pour qui serait un tant soit peu familier de la discographie de Th Da Freak. Et pourtant…

D’où vient que l’écoute de ces 11 titres donne l’impression d’être confronté à quelque chose d’ancien mais également de complètement neuf ? Comment expliquer que l’on soit en terrain connu mais avec le pressentiment que quelque chose nous échappe et se maintienne, fascinant, dans une distance énigmatique ? Coyote, clairement, étonnait par le renouveau qu’il semblait attester chez Thoineau Palis ; qu’une rupture était alors à l’oeuvre, et que de nouvelles voies commençaient à être frayées, c’était là une certitude. Indie Rock, lui, semble à première vue renouer avec le passé mais, on le découvre progressivement, parvient à le transfigurer, comme pour donner une idée parfaitement lumineuse de l’idiosyncrasie de l’homme aux cheveux – jusqu’ici – bleus. D’où le trouble : on connaît ce qui nous est présenté là, mais il se révèle sous une forme si condensée et si parfaite dans sa cohésion qu’il en acquiert une étrange aura. Th Da Freak, conscient peut-être que l’heure était venue, avec Coyote, de se métamorphoser, contrôlait cette opération risquée en rassemblant et en harmonisant dans un projet parallèle toutes les versions passées de lui-même, mais pour en retirer l’essence inaltérable. Mais là où les choses deviennent fascinantes, c’est que cette démarche rétrospective ne porte pas que sur l’identité d’un musicien, elle revient également à offrir au public une synthèse magnifiée de l’indie rock, ce qui fait que ce nouvel album parle également, et directement, de nous, nous qui écoutons cette musique depuis…

Feel Animal, Young Bro, Serie A, Say Say, entre autres, sont de véritables pépites de power / lo-fi pop, électriquement exubérantes, mais juste ce qu’il faut pour habiller impeccablement leurs mélodies simples, concises et lumineuses. Entre ces petites merveilles d’ores et déjà intemporelles, s’intercalent de rêveuses ballades, avec Somewhere en point d’orgue, ressuscitant de sublimes harmonies vocales à la Beach Boys pour mieux étreindre les coeurs. Tout semble idyllique jusqu’au long silence qui suit Naked – au point même que l’on croit l’écoute terminée -, mais après lequel commence l’appel déchirant de Let Me See The Sun qui nous précipite hors des ‘palais abrités de l’imaginaire’, comme l’écrivait Merleau Ponty, et nous jette, ahuris, dans le réel. Et plutôt que d’être saisis par l’effroi de la chute, A Drummy Alley Straight To Indie Rock Land nous incite à courir droit devant, effrénés et réjouis, vers un futur plein de promesses. Indie Rock se termine donc comme un commencement, et nous plonge par là même dans l’ivresse des nouveaux départs.

Ce nouvel album de Th Da Freak s’offre à première vue dans une grande simplicité, par l’immédiateté de ses constructions mélodiques, mais s’avère finalement beaucoup plus complexe et étonnant qu’il n’en avait l’air. C’est un disque monument, célébrant ce qui n’est plus, mais qui, pourtant, vit et vibre, montrant ce qui du passé demeure et continue d’irriguer le présent. Sans doute lui fallait-il cela, au Freak d’hier, ce repli sur sa propre identité afin de mieux aborder les changements initiés par Coyote, mais on peut aussi dire que c’est ce dont nous avions besoin, en tant qu’auditeurs, une forme épurée et idéalisée de l’indie music concentrant nos souvenirs, nos échecs et nos espoirs dans ceux d’un autre, et nous permettant par là même de lutter contre la dispersion à laquelle nous soumet invariablement la fuite du temps.

VIDEO
ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Feel Animal, Young Bro, Serie A, Somewhere


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